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La majorité ignore les premiers éléments de la musique, et rien n’est plus rare, même dans les classes élevées de la société, que l’étude sérieuse des maîtres. On se borne la plupart du temps à entendre de loin en loin et sans choix, parmi quelques belles œuvres, une foule de choses pitoyables qui faussent le goût et habituent l’oreille aux plus mesquines pauvretés. Contrairement au poète qui parle la langue de tous, et s’adresse d’ailleurs à des hommes dont l’esprit s’est plus ou moins formé par l’étude obligée des classiques, le musicien parle une langue mystérieuse qui demanderait pour être comprise un travail spécial, ou tout au moins une longue habitude ; il a aussi ce désavantage sur le peintre et le statuaire, que ceux-ci s’adressent au sentiment de la forme, bien plus général que la compréhension intime de la nature et le sentiment de l’infini, qui sont l’essence même de la musique. Est-il une amélioration possible à cet état de choses ? Je le crois et je crois aussi que nous y tendons de toutes parts. On ne cesse de répéter que nous vivons à une époque de transition ; cela est vrai de la musique plus que de quoi que ce soit. Il est triste sans doute de naître dans ces temps de labeurs ingrats où celui qui sème ne récolte pas, où celui qui amasse ne jouit pas, où celui qui conçoit des pensées de salut ne doit point les voir se vivifier et, pareil à la femme qui meurt dans le travail de l’enfantement, les lègue faibles et nues encore à la génération qui foulera sa tombe. Mais pour