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le donnant tantôt comme de Beethoven, tantôt comme de Czerny, tantôt comme de moi. Le jour où je passais pour en être l’auteur, j’avais un succès de protection et d’encouragement : « Ce n’était vraiment pas mal pour mon âge ! » Le jour où je le jouais sous le nom de Czerny, je n’étais pas écouté ; mais lorsque je le jouais comme étant de Beethoven, je m’assurais infailliblement les bravos de toute l’assemblée. Le nom de Beethoven me rappelle un autre incident, plus récent, qui ne confirme que trop mes notions sur la capacité artistique du dilettanti. Vous savez que depuis nombre d’années l’orchestre du Conservatoire a entrepris d’imposer au public ses symphonies. Aujourd’hui, sa gloire est consacrée ; les plus ignares entre les ignares se mettent à l’abri derrière le nom colossal, et l’envie impuissante s’en sert déjà comme d’une massue pour écraser tous ceux qui, parmi les contemporains, paraissent élever la tête. Voulant essayer de compléter la pensée du Conservatoire (bien imparfaitement car le temps m’a manqué), je consacrai cet hiver plusieurs séances de musique presque exclusivement à l’exécution des duos, trios et quintetti de Beethoven. J’étais à peu près sûr d’ennuyer ; mais j’étais certain aussi qu’on n’oserait rien en dire. Effectivement, il y eut de brillantes manifestations d’enthousiasme ; l’on aurait pu facilement s’y tromper, et croire la foule subjuguée par la puissance du génie ; mais à l’une des dernières séances, une interversion dans l’ordre mit fin à cette erreur.