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répandre, des musées pour l’exposer ; point d’intermédiaire entre lui et ses juges ; tandis que le compositeur est nécessairement forcé de recourir à des interprètes incapables ou indifférents qui lui font subir l’épreuve d’une traduction souvent littérale, il est vrai, mais qui ne rend que bien imparfaitement la pensée de l’œuvre et le génie de l’auteur. Ou bien, si le musicien est lui-même exécutant, pour quelques rares occasions où il sera compris, combien de fois lui faudra-t-il prostituer à un auditoire froid et railleur ses émotions les plus intimes, jeter pour ainsi dire son âme au dehors, afin d’arracher quelques applaudissements à la foule distraite ! Encore est-ce à grand’peine si la flamme de son enthousiasme reflète quelque pâle lueur sur ces fronts glacés, allume quelques étincelles dans ces cœurs vides d’amour et de sympathie.

Moins qu’un autre, m’a-t-on dit souvent, j’ai le droit d’exprimer de pareilles plaintes puisque dès mon enfance le succès a de beaucoup dépassé et mon talent et mes désirs ; mais c’est précisément au bruit des applaudissements que j’ai pu tristement me convaincre que c’était à un hasard inexplicable de la mode, à l’autorité d’un grand nom, à une certaine énergie d’exécution, bien plus qu’au sentiment du vrai et du beau, qu’était dus la plupart des succès. Les exemples abondent et surabondent. — Étant enfant, je m’amusais souvent à une espièglerie d’écolier dont mes auditeurs ne manquaient jamais d’être dupes. Je jouais le même morceau, en