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tions charmées, s’est éteint avec la foi qui le vivifiait. Aujourd’hui le lien sympathique est rompu, qui, unissant l’art et la société, donnait à l’un la force et l’éclat, à l’autre ces divers tressaillements qui enfantent les grandes choses.

L’art social n’est plus et n’est pas encore. Aussi que voyons-nous le plus habituellement de nos jours ? Des statuaires ? non, des fabricants de statues. Des peintres ? non, des fabricants de tableaux. Des musiciens ? non, des fabricants de musique ; partout des artisans enfin, nulle part des artistes. Et c’est encore là une souffrance cruelle pour celui qui est né avec l’orgueil et l’indépendance sauvage des vrais enfants de l’art. Il voit autour de lui la tourbe de ceux qui fabriquent, attentifs aux caprices du vulgaire, assidus à complaire à la fantaisie des riches inintelligents, obéissant au moindre signe, si empressés à baisser la tête et à se courber qu’ils semblent ne se croire jamais assez près de la terre ! Il lui faut les accepter comme ses frères, et voir la foule les confondre avec lui dans la même appréciation grossière, dans la même admiration puérile, hébétée. Et que l’on ne dise pas que ce sont là des souffrances de vanité et d’amour-propre. Non, non, vous le savez bien, vous, si haut placé qu’aucune rivalité ne peut vous atteindre. Les larmes amères qui tombent parfois de nos paupières, ce sont celles de l’adorateur du vrai Dieu qui voit son temple envahi par les idoles, et le peuple stupide pliant les genoux