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trable dans laquelle nulle voix humaine n’a plus accès. La vanité, l’ambition, la cupidité, la jalousie, l’amour même, toutes les passions qui remuent les hommes, restent en dehors du cercle magique qu’il a tracé autour de sa pensée. Là, retiré comme en un sanctuaire, il contemple, il adore le type idéal que toute sa vie tendra à reproduire. Là lui apparaissent des formes divines, insaisissables, des couleurs telles que les plus belles fleurs dans l’éclat du printemps n’en offrirent jamais à ses regards ; il entend l’harmonie éternelle dont la cadence régit les mondes, et toutes les voix de la création s’unissent pour lui dans un merveilleux concert. Alors une fièvre ardente le saisit, son sang court impétueusement dans ses veines, et jette à son cerveau mille pensées dévorantes, auxquelles il ne peut se soustraire que par le saint labeur de l’art. Il se sent en proie à un mal innommé ; une force inconnue le presse de manifester par des paroles, des couleurs ou des sons, cet idéal qui s’est emparé de lui et qui lui fait souffrir une soif de désir, un tourment de possession tel qu’aucun homme n’en a jamais ressenti pour l’objet d’une passion réelle. Mais son œuvre terminée, alors même que le monde entier y acclamerait avec enthousiasme, lui-même reste à demi satisfait, mécontent, et la briserait peut-être, si une nouvelle apparition ne détournait ses regards de la chose accomplie, pour le jeter de nouveau dans ces extases célestes et douloureuses qui font de sa vie