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coin de votre feu, vous vous demandez patiemment où je veux en venir et quand j’arriverai à vous dire quelques mots de Paris. Car tout ceci j’eusse pu vous l’écrire aussi bien de Pékin ou de Buenos-Ayres.

Or donc, revenons à Paris. Justement, à mon débotté je trébuche sur une merveille, sur une gloire de bois et de paille, sur M. Gusikow[1], le jongleur musical qui fait infiniment de notes dans une infiniment courte durée, et tire le plus de sons possible des deux corps les moins sonores. C’est là une prodigieuse difficulté vaincue que tout Paris applaudit en ce moment. Combien il est à regretter que M. Gusikow, le Paganini des boulevards, n’ait pas appliqué son talent, on peut même dire son génie, à l’invention de quelque instrument aratoire ou à l’introduction de quelque nouvelle culture dans son pays. Il eût enrichi peut-être une population tout entière, tandis que ce talent ainsi égaré n’a produit qu’une puérilité musicale à laquelle le charlatanisme de feuilleton ne parviendra pas à donner une valeur impossible. À ce propos, ne déplorez-vous pas comme moi la manie hyperbolique qui s’est emparée de tant de gens, cette rage de byroniser et de wertheriser tout le monde et de couronner de lauriers les fronts les plus fuyants, les têtes les plus aplaties ? Le système de Law est adopté pour la critique ; le papier-mon-

  1. Gusikow (1806-1837) étonnait alors l’Europe par ses prouesses sur une sorte de tympanon fait de bois et de paille.