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musique ordonnée carrément d’après un plan symétrique, et que l’on peut, pour ainsi dire, mesurer par pieds cubes ; mais pour les compositions de l’école moderne, aspirant généralement à devenir l’expression d’une individualité tranchée ? N’est-il pas à regretter, par exemple, que Beethoven d’une si difficile compréhension, et sur les intentions duquel on a tant de peine à tomber d’accord, n’ait pas sommairement indiqué la pensée intime de plusieurs de ses grandes œuvres et les modifications principales de cette pensée ?

J’ai la ferme conviction qu’il y a une sorte de critique philosophique des œuvres d’art que personne ne saurait mieux faire que l’artiste lui-même : ne vous raillez pas de mon idée, quelque bizarre quelle puisse paraître au premier abord. Croyez-vous que le musicien de bonne foi, après un certain temps écoulé, quand la fièvre de l’inspiration est calmée et qu’il est également guéri de l’enivrement du triomphe ou de l’irritation de l’insuccès, ne sait pas mieux que tous les aristarques du monde par quel endroit il a failli, quels sont les côtés défectueux de sa composition, et pourquoi ils le sont ? Reste donc à se sentir un orgueil assez dégagé de toute vanité pour oser le dire franchement et courageusement au public. Ce courage est-il donc si difficile ?

Mais, remarquez, je vous prie, l’admirable loquacité qui m’emporte à travers champs dans le pays des hypothèses, tandis que tranquillement assis au