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ne concevaient rien aux contradictions et aux excentricités résultant forcément de ma double vie. Tourmenté de mille instincts confus et d’un besoin d’expansion illimité, trop jeune pour me défier, trop naïf pour rien concentrer au dedans, je me livrais tout entier à mes impressions, à mes admirations, à mes répugnances. Je fus réputé comédien, parce que je ne savais jouer aucune comédie et que je me laissais voir tel que j’étais, enfant enthousiaste, artiste sympathique, dévot austère, tout ce qu’on est en un mot à dix-huit ans, quand on aime Dieu et les hommes, d’une âme ardente, passionnée, non encore émoussée par le froissement brutal des égoïsmes sociaux.

J’exécutais alors fréquemment, soit en public, soit en des salons (où l’on ne manquait jamais de m’observer que je choisissais bien mal mes morceaux) les œuvres de Beethoven, Weber et Hummel, et, je l’avoue à ma honte, afin d’arracher les bravos d’un public toujours lent à concevoir les belles choses dans leur auguste simplicité, je ne me faisais nul scrupule d’en altérer le mouvement et les intentions ; j’allais même jusqu’à y ajouter insolemment une foule de traits et de points d’orgue, qui, en me valant des applaudissements ignares, faillirent m’entraîner dans une fausse voie dont heureusement je sus me dégager bientôt. Vous ne sauriez croire, mon ami, combien je déplore ces concessions au mauvais goût, ces violations sacrilèges de l’esprit et de la lettre, car le