Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une répulsion instinctive l’avilissement mal déguisé de la domesticité artistique. Plus tard, lorsque la mort m’eut enlevé mon père, et que revenu seul à Paris je commençais à pressentir ce que pouvait devenir l’art, ce que devait être l’artiste, je fus alors comme écrasé par les impossibilités que je voyais surgir de toute part dans la voie que se traçait ma pensée. Ne trouvant d’ailleurs aucune parole sympathique, non seulement parmi les gens du monde, mais encore parmi les artistes, qui sommeillaient dans un commode indifférentisme, n’ayant nulle conscience de moi, du but que je devais me poser et des forces qui m’étaient départies, je me laissai déborder par un amer dégoût de l’art réduit, tel que je le voyais, à un métier plus ou moins lucratif, à un amusement à l’usage de la bonne compagnie, et j’eusse voulu être tout au monde plutôt que musicien aux gages des grands seigneurs, patronisé et salarié par eux, à l’égal d’un jongleur ou du savant chien Munito. Paix soit faite à sa mémoire[1].

Mais je m’oublie déjà comme les vieillards, à vous parler de mon enfance. Mes souvenirs se pressent dans mon cerveau, le moi s’objective à lui-même, comme disent les nouveaux scolastiques. Qu’importe ? Continuons.

Vers ce temps, je fis une maladie de deux

  1. C’est dans une confession de ce genre qu’on trouve la clef des Considérations sur la situation des artistes. Voir plus haut, introduction.