Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attire en haut sa pensée, tandis que la brume où je marche semble lui dire sans cesse : « Livre-toi à tes instincts les plus vils, souille-toi des plus sales débauches : le jour est sombre, je te cache à Dieu même : roule-toi dans la fange, tu y trouveras de l’or et des plaisirs ». — Pour la troisième fois me voici refoulé dans ce chaos vivant où se heurtent et se ruent pêle-mêle, acharnés à se détruire l’un l’autre, les passions brutales, les vices hypocrites, les ambitions effrontées. Et pourtant du choc tumultueux de ces passions mauvaises semblent parfois jaillir de soudaines clartés ; du fond du chaos maudit s’élèvent des voix libératrices, et de cette ville que l’on dirait vouée au culte des enfers, s’élancent tout à coup comme à travers une pluie de soufre et des torrents de lave, une flamme sacrée qui ranime le monde engourdi, une vaste lumière qui dissipe au loin les ténèbres. Aussi est-ce toujours avec un sentiment religieux, mélange de tristesse profonde et d’espérances indéfinies, que je pénètre dans Paris. Déjà deux phases de ma vie, s’y sont accomplies.

D’abord lorsque les pressentiments paternels m’arrachèrent aux steppes de la Hongrie, où je grandissais libre et indompté au milieu des troupeaux sauvages, et me jetèrent pauvre enfant au sein d’une société brillante qui applaudit aux tours de force de celui qu’elle honora du glorieux et flétrissant stigmate de petit prodige. Une mélancolie prématurée pesa dès lors sur moi, et je subis