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et comme perdu dans l’ombre des deux grandes chaînes de montagnes qui l’enserrent, voit incessamment se presser sur son territoire une multitude de grandeurs effacées, de royautés déchues, de puissances éteintes. Chaque jour vient grossir le nombre de ces personnages de hauts rangs : rois, ministres, généraux d’armées, qui, balayés par le vent, errent de contrée en contrée, formant en quelque sorte une nation sans patrie, marquée au front comme le peuple juif, ainsi que lui frappée d’un mystérieux anathème, pour avoir, eux aussi, méconnu le verbe de Dieu, la liberté !

On voyait réunis dans la salle de concert, l’ex-roi de Westphalie, Jérôme Bonaparte, et sa ravissante fille aux cheveux blonds, au regard doux et triste, semblable à une colombe posée sur une ruine ; un ministre de Charles X qui supporte sans découragement et sans amertume ce qu’il y a toujours eu de cruel, ce qu’il y a aujourd’hui de dérisoire dans l’arrêt qui le frappe ; une femme qui n’a point failli à son nom, et que la Vendée a vue sur ses champs de bataille ; cent autres que j’oublie, ou qu’il serait trop long d’énumérer ici ; et enfin ce compagnon de Bourmont à Waterloo, flétri par la victoire, réhabilité par le malheur, et qui consacre ses loisirs d’exilé à une œuvre d’art qu’il poursuit avec un zèle infatigable.

Le général C…, amateur passionné de la musique ancienne, de celle de Haendel en particulier, qu’il chante avec une chaleur entraînante, a