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morceau final, jette alors un terrifiant éclat. Frédéric agité par des passions étrangères à sa vraie nature, se livre à de convulsives espérances ; Ortrude les raille, l’engageant à apprendre d’elle à jouir avec calme des plaisirs d’une voluptueuse vengeance. Comment rendre au lecteur l’espèce d’étourdissement que produit l’accouplement dénaturé du sustantif sanguinaire et de l’adjectif amoureux, quand tous deux sont prononcés, avec l’accent qui leur est propre ! Cette brusque opposition donne à la haine une teinte de joie si âpre, si discordante, si tranchée, qu’on est ému par ces notes, comme par le plus sacrilége des blasphèmes. Elles semblent narguer tout ce que l’homme croit saint, et se repaître de malheur et de perdition. Ortrude, avec une mollesse et une tendresse qui forment un contraste farouche et révoltant aux imprécations qui viennent d’être échangées entre elle et son mari, l’attire au haut du portique sacré témoin de cette scène d’enfer, le fait asseoir à ses côtés, l’entoure voluptueusement de ses bras, et fixe de nouveau ses regards sur les dernières lampes qui brillent à travers les vitres du palais. Ils chantent tous deux alors, ainsi embrassés, des paroles de vengeance, lentes, sombres, lugubres, dont l’unisson, en succédant à l’éclat heurté des phrases précédentes, confirme l’odieuse sensation déjà produite par son geste si affreusement affectueux, qui fait de l’amour le lien de la haine, et