dépeignent une exaspération concentrée, un désespoir tantôt ironique, tantôt hautain. Ces sombres apostrophes de sa muse ont passé plus inaperçues et moins comprises que ses poëmes d’un plus tranquille coloris, en provenant d’une région de sentimens où moins de personnes ont pénétré, dont moins de cœurs connaissent les formes d’une irréprochable beauté. Le caractère personnel de Chopin a pu y contribuer aussi. Bienveillant, affable, facile dans ses rapports, d’une humeur égale et enjouée, il laissait peu soupçonner les secrètes convulsions qui l’agitaient.
Ce caractère n’était pas facile à saisir. Il se composait de mille nuances qui, en se croisant, se déguisaient les unes les autres d’une manière indéchiffrable a prima vista. Il était aisé de se méprendre sur le fond de sa pensée, comme avec les slaves en général chez qui la loyauté et l’expansion, la familiarité et la captante desinvoltura des manières, n’impliquent nullement la confiance et l’épanchement. Leurs sentimens se révèlent et se cachent, comme les replis d’un serpent enroulé sur lui-même ; ce n’est qu’en les examinant très attentivement qu’on trouve l’enchaînement de leurs anneaux. Il y aurait de la naïveté à prendre au mot leur complimenteuse politesse, leur modestie prétendue. Les formules de cette politesse et de cette modestie tiennent à leurs mœurs, qui se ressentent singulièrement de leurs anciens rapports avec l’Orient. Sans se contagier le moins du monde de la taciturnité musulmane,