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dans un grand écrivain et certainement les plus rares dans un écrivain ordinaire : la juste appréciation de la forme dans laquelle il lui est donné d’exceller. Pourtant, ce fait dont nous lui faisons un sérieux mérite, nuisit à l’importance de sa renommée. Difficilement peut-être un autre, en possession de si hautes facultés mélodiques et harmoniques, eût-il résisté aux tentations que présentent les chants de l’archet, les allanguissemens de la flûte, les tempêtes de l’orchestre, les assourdissemens de la trompette, que nous nous obstinons encore à croire la seule messagère de la vieille déesse dont nous briguons les subites faveurs. Quelle conviction réfléchie ne lui a-t-il point fallu pour se borner à un cercle plus aride en apparence, déterminé à y faire éclore par son génie et son travail des produits qui, à première vue, eussent semblé réclamer un autre terrain pour donner toute leur floraison ? Quelle pénétration intuitive ne révèle pas ce choix exclusif qui, arrachant certains effets d’orchestre à leur domaine habituel où toute l’écume du bruit fût venue se briser à leurs pieds, les transplantait dans une sphère plus restreinte, mais plus idéalisée ? Quelle confiante aperception des puissances futures de son instrument n’a-t-elle pas présidé à cette renonciation volontaire d’un empirisme si répandu, qu’un autre eût probablement considéré comme un contre-sens d’enlever d’aussi grandes pensées à leurs interprètes ordinaires ! Que nous devons sincèrement admirer cette unique préoc-