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passé, disaient les théoriciens, on ne tarderait pas à goûter les béatitudes de la liberté du commerce. Les conjonctures commerciales étaient, en effet, des plus favorables à la transition.

La mauvaise récolte de l’Europe occidentale avait provoqué une forte exportation de produits agricoles, et la Russie eut ainsi pendant quelque temps d’abondants moyens de solder ses importations considérables de produits manufacturés étrangers.

Mais lorsque cette demande extraordinaire des produits de l’agriculture russe eut cessé, lorsque, bien au contraire, l’Angleterre eut, dans l’intérêt de son aristocratie, entravé l’importation des blés, et, dans l’intérêt du Canada, celle des bois étrangers, la ruine des fabriques du pays et l’excès de l’importation des objets fabriqués se firent doublement sentir.

Après avoir, avec M. Storch, considéré la balance du commerce comme une chimère dont il était aussi honteux et aussi ridicule pour un homme intelligent et instruit d’admettre l’existence que celle des sorcières au dix-septième siècle, on vit alors avec effroi qu’il se passait pourtant entre des contrées indépendantes quelque chose d’analogue à la balance du commerce. L’homme d’État le plus éclairé et le plus pénétrant de la Russie, le comte Nesselrode, n’hésita point à le professer publiquement. Il déclara, dans une circulaire officielle de 1821, « que la Russie se voyait forcée par les circonstances de recourir à un système de commerce indépendant ; que les produits de l’empire ne trouvaient point de débouché au dehors ; que les fabriques du pays étaient ruinées ou sur le point de l’être ; que tout le numéraire s’écoulait à l’étranger, et que les maisons de commerce les plus solides étaient à la veille d’une catastrophe. »

Les effets bienfaisants du système protecteur de la Russie ne contribuèrent pas moins que les conséquences désastreuses du rétablissement de la liberté du commerce à discréditer les principes et les assertions des théoriciens. Des capitaux, des talents et des bras affluèrent de tous les pays civilisés, surtout d’Angleterre et d’Allemagne, pour prendre leur part des avan-