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Elle ne pouvait avoir d’ennemi plus redoutable. La fortune de cet homme, sans principe de gouvernement, sans vue de progrès, sans courage, eût été impossible partout ailleurs qu’en bourgeoisie française. Mais il fut toujours là quand il fallut un libéral pour mitrailler le peuple et rarement on vit plus merveilleux artiste en intrigues parlementaires. Nul ne sut comme lui attaquer, isoler un gouvernement, grouper les préjugés, les haines, les intérêts, masquer son intrigue de patriotisme et de bon sens. La campagne de 1870-71 sera certainement son chef-d’œuvre. Il avait fait, dans sa pensée, la part des Prussiens et ne s’en occupait pas plus que s’ils eussent repassé la Moselle. L’ennemi, pour lui, c’était le Défenseur. Quand nos pauvres mobiles tourbillonnaient sous un froid de vingt degrés, M. Thiers triomphait de leurs désastres. Pendant qu’à Bruxelles et à Londres les mamelucks fidèles aux traditions de Coblentz, les Cassagnac, les Amigues, travaillaient à discréditer la France, faire échouer ses emprunts, expédiaient aux prisonniers d’Allemagne des insultes contre la République et des appels à une restauration impériale, M. Thiers groupait à Bordeaux contre la République et la Défense toutes les réactions de province.

La presse conservatrice avait, dès la première heure, dénigré la Délégation. Après l’arrivée de M. Thiers, elle lui fit une guerre ouverte, ne cessant de harceler, d’accuser, de calomnier. Gambetta est un « fou furieux », c’est le mot de M. Thiers. Conclusion : la lutte est folie, la désobéissance légitime. Au mois de décembre ce mot d’ordre, répété par tous les journaux du parti, courut la campagne.

Pour la première fois, les hobereaux trouvèrent l’oreille du paysan. Après les mobiles, la guerre allait drainer les mobilisés, des camps se préparaient pour les recevoir. L’Allemagne tenait 260 000 Français ; Paris, la Loire, l’armée de l’Est plus de 350 000 ; 30 000 étaient morts et des milliers remplissaient les hôpitaux. Depuis le mois d’août, la France avait rendu 700 000 hommes au moins. Où allait-on s’arrêter ? Ce cri fut jeté dans toutes les chaumières : C’est la République qui veut la guerre ! Paris est aux mains des par-