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APPENDICE

granit, à trois kilomètres de Quélern. Là nous sommes un peu mieux, tiraillés par quatre gouvernements distincts et jaloux les uns des autres : les sœurs de charité, les médecins, les officiers de marine, le lieutenant de ligne. Celui-ci aurait bien voulu être méchant et féroce, mais les officiers de marine et les médecins le traitaient de « muffle », se moquaient de lui et, somme toute, nous protégeaient un peu. Combien sont morts dans cet hôpital, un de ceux où l’on évacuait les malades des pontons. Mes camarades m’ont dit quatre-vingt-quatre, un gardien m’a dit une quarantaine. Je ne les ai pas comptés ; le fait est que le cimetière de l’île était trop petit et qu’on nous expédiait les cercueils par cargaisons.

« 5o Fontenoy. Je n’y ai passé qu’une nuit, une nuit et un jour, à fond de cale, sans air, sans lumière, étouffant de chaleur et haletant. Ces vingt-quatre heures m’ont paru sans fin. Et pourtant j’avais plus de philosophie que d’autres et je n’étais pas enchaîné ! Le lieutenant de vaisseau, fort poli, m’introduisit lui-même dans cette prison, qu’il appelait la « Sainte-Barbe, la prison des officiers. » Et mes camarades de la prison vulgaire !

« 6o Prison militaire de Brest. Prévenances, soins, respects, vivres frais, livres et journaux, tout nous a été donné de la meilleure grâce du monde. Il ne nous manquait que la liberté.

« 7o Prison des Chantiers, à Versailles. Je vous présente le lieutenant Mercereaux, lieutenant bonapartiste, qui fait de la propagande honteuse avec les brochures d’Adam Lux. Il a même eu le toupet de me présenter ces ordures. Là, nous sommes neuf cents dans trois grandes salles. Le traitement, vous le connaissez par les lettres de Renard. « Dés que dans un groupe vous en verrez qui s’agitent, qui lèvent les bras, tirez, c’est moi qui vous l’ordonne », dit le colonel Gaillard aux soldats. Nous sommes la force et nous resterons la force ! Et MM. Langlois, Naquet et autres se prêtent à la farce d’aller demander des renseignements à ce monsieur sur la manière dont on traite les prisonniers.

« 8o Chenil de Saint-Germain. Sur la cour dont un hangar nous renferme, se trouve une belle écurie ; on la réserve pour le cheval de M. le colonel, s’il daigne nous visiter. Quant à nous, nous serons toujours trop bien. Les fenêtres du chenil sont fermées de planches et de barreaux et ne reçoivent d’air que par un vasistas ; qua-