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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

taine de sauver tout ce monde moyennant 10 000  francs dont 1 500 comptant, le reste à l’arrivée en Australie. Jourde s’adjoignit Granthille qui allait tous les jours, en canot, porter pour le compte d’un commerçant de Nouméa des provisions à la presqu’île, sut négocier une traite de 1 200 francs souscrite par Rochefort et, dans la nuit du 19 mars, vint avec Ballière et Granthille, à travers la rade obscure, chercher les autres camarades près d’un petit îlot où il leur avait donné rendez-vous. Après de nombreuses difficultés, l’embarcation aborda le P. C. E. qui appareilla le lendemain. Sept jours après, les fugitifs arrivaient à Newcastle et Rochefort télégraphiait à Edmond Adam pour demander 25 000 francs. Par les soins de Gambetta une souscription fut organisée entre intimes et Georges Périn alla à Londres expédier les fonds télégraphiquement. Les fugitifs purent rentrer en Europe.

Leurs révélations apprirent à la France les horreurs calédoniennes. Elle sut les tortures supplémentaires infligées aux communeux, les poucettes, le fouet, les fusillades, les insultes calculées pour envoyer au bagne. Ces révélations furent payées par les déportés. Le ministère de Broglie dépêcha, aussitôt l’évasion connue, le contre-amiral Ribourt et le chevalet de torture se tendit plus durement. Ceux qui avaient obtenu l’autorisation de séjourner à Nouméa furent renvoyés dans la presqu’île Ducos et à l’île des Pins ; la pêche fut interdite ; toute lettre cachetée confisquée, le droit d’aller dans la forêt chercher du bois pour cuire les aliments, supprimé. Les chiourmes redoublèrent de brutalité, tirèrent sur les condamnés qui dépassaient la limite ou n’étaient pas rentrés dans leur case à l’heure réglementaire. Des négociants de Nouméa accusés d’avoir facilité l’évasion furent expulsés de la Nouvelle-Calédonie.

Ribourt avait apporté la destitution du gouverneur, La Richerie, ancien gouverneur de Cayenne, lequel, par ses rapines, s’était fait en Calédonie une fortune scandaleuse. Le gouvernement provisoire fut confié au colonel Alleyron célèbre pendant les massacres de Mai. Alleyron décréta que tout déporté donnerait à l’Etat une demi-journée de travail sous peine de ne recevoir que les vivres strictement indispensables, 700 grammes de