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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

l’île des Pins offraient de précieuses ressources aux ébénistes et quelques déportés fabriquaient des meubles fort recherchés à Nouméa ; l’administration leur retira la permission de les faire transporter sur la grande terre. Et le ministre de la Marine de dire à la tribune que la majeure partie des transportés refusaient toute sorte de travail. Cette même année, le seul génie militaire payait 110 525 francs aux déportés de la presqu’île.

Au moment où elle écourtait la vie des déportés, l’administration convoquait leurs femmes au ministère et leur faisait de la Calédonie une peinture enchanteresse. Elles y trouveraient dès leur arrivée une maison, des terrains, des graines, des outils. La plus grande partie, flairant un piège, refusèrent de partir sans être appelées par leurs maris. Soixante-neuf se laissèrent persuader et furent embarquées sur le Fénelon avec des femmes de l’assistance publique expédiées pour l’accouplement des colons. Elles ne trouvèrent au débarquement que le désespoir et la misère de leurs maris. Le Gouvernement refusa de les rapatrier.

Voilà ces milliers d’hommes habitués au travail, à l’activité de l’esprit, renfermés oisifs et misérables, les uns dans l’étroite presqu’île Ducos sous l’appel constant du garde-chiourme, les autres dans l’île des Pins, sans horizon que la mer déserte, vêtus de lambeaux, à peine nourris, tous à peine rattachés au monde par quelque lettre lointaine qui s’attarde trois semaines à Nouméa. Les rêveries, sans fin commencèrent, puis le découragement et le sombre désespoir. Les cas de folie apparurent. La mort vint. Le premier affranchi de la presqu’île Ducos fut l’instituteur Verdure, membre de la Commune. Le conseil de guerre n’avait relevé contre lui que ce crime : « C’est un utopiste philanthrope. » Il voulait ouvrir une école dans la presqu’île : l’autorisation lui fut refusée. Inutile, loin des siens, il languit et mourut. Un matin de 73, les chiourmes et les prêtres virent sur le sentier sinueux qui mène au cimetière un cercueil couronné de fleurs, porté par des déportés ; derrière huit cents amis silencieux. « Le cercueil, a raconté l’un d’eux, Paschal Grousset, est placé dans la fosse : un ami dit quelques mots d’adieu ; chacun jette