Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
448
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

une insulte ou refusé de subir un affront. Au cachot les femmes comme les hommes ; les religieuses qui les gardent sont plus mauvaises que les chiourmes. Combien rares les commandants qui abrègent le supplice. Celui de la Danaé, Riou de Kerprigent croit avoir une cargaison de scélérats ; celui de la Loire, Lapierre avait à bord de la Sémiramis, fait amarrer deux hommes sur les chaudières et ils étaient morts de leurs blessures. Il obtint trente-quatre morts et soixante alités sur six cent cinquante transportés.

Pendant cinq mois et plus, il faut tenir dans cette promiscuité de la cage, dans l’ordure du voisin, secoué par le roulis, meurtri par le tangage, vivre de biscuit souvent pourri, de lard, d’eau presque salée ; torréfié sous les tropiques, glacé par les fraîcheurs du sud ou l’embrun qui balaie la batterie. Aussi, quels spectres arrivent. Quand l’Orne mouille en rade de Melbourne, il y a trois cents malades du scorbut sur cinq cent quatre-vingt-huit transportés. Les habitants de Melbourne veulent les secourir, réunissent en quelques heures quarante mille francs ; le commandant de l’Orne refuse de transmettre la somme, même transformée en vivres, vêtements, outils, objets de première nécessité.

Le navire à transportés est une prison sûre. Il n’y eut en tout que deux évasions heureuses. Le 1er  juillet 95 la Nouvelle-Calédonie avait reçu trois mille huit cent cinquante-neuf communeux.

Cet enfer avait trois cercles : sur la grande terre, non loin de Nouméa, la presqu’île Ducos pour les condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée : huit cent onze dont six femmes — les blindés ; — au sud-est de la grande terre, à vingt-cinq milles environ, l’île des Pins pour les condamnés à la déportation simple : deux mille huit cent huit, dont treize femmes ; — et, tout au fond, « là où le soleil se tait », en face de la presqu’île Ducos, le bagne de l’île Nou, pour deux cent quarante galériens.

La presqu’île Ducos et l’île Nou forment les deux bras de la rade au fond de laquelle campe Nouméa, baroque échantillon de l’incurie et des caprices administratifs ; le tout dominé par les canons de la caserne d’artillerie