Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
434
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Ils avaient pour camarade de mort, un sergent du 45e de ligne — le régiment des quatre sergents de la Rochelle, — Bourgeois, passé à la Commune et qui montrait le même calme que Ferré. Rossel fut révolté quand on lui mit les menottes. Ferré et Bourgeois dédaignèrent de protester.

Le jour pointait à peine ; il faisait un froid noir. Devant la butte de Satory, cinq mille hommes sous les armes encadraient trois poteaux blancs gardés chacun par un peloton de douze exécuteurs. Le colonel Merlin commandait, réunissant les trois caractères de vainqueur, de juge et de bourreau. Quelques curieux, officiers et journalistes, composaient le public.

À sept heures, les fourgons des condamnés arrivèrent ; les tambours battirent aux champs, les clairons sonnèrent. Les condamnés descendirent escortés de gendarmes. Rossel salua les officiers. Bourgeois, regardant ces apprêts d’un air indifférent, alla s’adosser au poteau du milieu. Ferré vint le dernier, vêtu de noir, le binocle à l’œil, le cigare aux lèvres. D’un pas ferme il marcha au troisième poteau.

Rossel, assisté de son avocat et de son pasteur, fit demander à commander le feu. Merlin refusa. Rossel voulut lui serrer la main pour rendre hommage à la sentence. Même refus. Pendant ces allées et venues, Ferré et Bourgeois se tenaient immobiles et silencieux. Pour terminer les épanchements de Rossel, un officier lui dit qu’il prolongeait le supplice des deux autres. Il admit qu’on lui bandât les yeux. Ferré jeta le bandeau, repoussa le prêtre qui venait à lui et, ajustant son binocle, il regarda bien en face les soldats. Le jugement lu, les adjudants abaissèrent leur sabre. Rossel et Bourgeois tombèrent en arrière. Ferré resta debout, touché au flanc. On le tira encore, il s’affaissa. Un soldat lui colla le chassepot à l’oreille et fit jaillir la cervelle, même coup de grâce à Bourgeois. On l’épargna à Rossel.

Au geste de Merlin, les fanfares éclatèrent et, suivant la coutume des sauvages, la troupe défila en triomphe devant les cadavres. Quel cri d’horreur la bourgeoisie eût poussé, si, devant les otages exécutés, les fédérés eussent paradé musique en tête.