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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

sait de quinze membres, pourvoyeurs des commissions mixtes de 1851, gros propriétaires, royalistes à vieux crins : Martel, Piou, comte Octave de Bastard, Félix Voisin, Batbie, comte de Maillé, comte Duchatel, Peltereau-Villeneuve, François Lacaze, Tailliard, marquis de Quinsonnaz, Bigot, Merveilleux-Duvignau, Pâris, Corne Torquemada de Juin 48. Le président Martel marchandait les grâces aux jolies solliciteuses.

Les premiers dossiers dont ils s’occupèrent furent ceux de Ferré et de Rossel. La presse libérale plaidait chaleureusement la cause du jeune officier. Dans cet inquiet, sans opinions politiques malsonnantes et qui avait si cavalièrement tourné le dos à la Commune, la bourgeoisie reconnut vite un de ses enfants égarés. Il avait d’ailleurs fait amende honorable. Les journaux publiaient ses mémoires où il vilipendait la Commune et les fédérés. On racontait jour par jour sa vie de prisonnier, ses entretiens sublimes avec un ministre protestant, ses entrevues déchirantes avec sa famille. Le bonapartiste Jules Amigues organisa une manifestation d’étudiants pour demander sa grâce. De Ferré, pas un mot, si ce n’est pour dire qu’il était « hideux. » Sa mère était morte folle ; son frère était enfermé dans un cabanon de Versailles ; son père, prisonnier dans la citadelle de Fouras ; sa sœur, une jeune fille de 19 ans, silencieuse, résignée, consumait ses jours et ses nuits à gagner les vingt francs qu’elle envoyait chaque semaine aux prisonniers. Elle avait refusé l’aide de ses amis, ne voulant partager avec personne l’honneur d’accomplir son devoir. On ne pouvait rien imaginer de plus « hideux ».

Pendant douze semaines, la mort resta suspendue sur les condamnés. Le 28 Novembre, à six heures du matin, on leur dit qu’il fallait mourir. Ferré sauta hors de son lit sans montrer d’émotion, déclina la visite de l’aumônier, écrivit à la justice militaire pour demander l’élargissement des siens, et à sa sœur pour qu’elle enterrât son cadavre de manière à ce que ses amis pussent le retrouver. Rossel, assez surpris d’abord, s’entretint avec un pasteur, écrivit pour demander qu’on ne vengeât point sa mort, précaution très inutile, et rédigea un testament mystique.