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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

forme du gouvernement » — on n’osa pas viser le fait de pétrole ; — les deux autres à la déportation et à la réclusion. L’une des condamnées cria au greffier qui lisait la sentence : « Et mon enfant, qui le nourrira !

— Ton enfant, le voici. »

Quelques jours après, devant ce Boisdenemetz, comparaissent quinze enfants de Paris. Le plus âgé a seize ans ; le plus jeune, si petit qu’il dépasse à peine la balustrade des accusés, en a onze. Ils portent une blouse bleue et un képi militaire.

« Druet, dit le soldat, que faisait votre père ? — Il était mécanicien. — Pourquoi n’avez-vous pas travaillé comme lui ? — Parce qu’il n’y avait pas de travail pour moi. »

« Bouverat, pourquoi êtes-vous entré dans les pupilles de la Commune ? — Pour avoir à manger. — Vous avez été arrêté pour vagabondage ? — Oui, deux fois : la deuxième fois, c’était pour avoir volé des chaussettes. »

« Cagnoncle, vous étiez enfant de la Commune ? — Oui, monsieur. — Pourquoi aviez-vous quitté votre famille ? — Parce qu’il n’y avait pas de pain. — Avez-vous tiré beaucoup de coups de fusil ? — Une cinquantaine. »

« Lescot, pourquoi avez-vous quitté votre mère ? — Parce qu’elle ne pouvait pas me nourrir. — Combien étiez-vous d’enfants ? — Trois. — Vous avez été blessé ? — Oui, par une balle à la tête. »

« Lamarre, vous aussi, vous avez quitté votre famille ? — Oui, monsieur, c’est la faim. — Et où avez-vous été alors ? — À la caserne pour m’enrôler. »

« Leberg, vous avez été chez un patron et on vous a surpris prenant la caisse. Combien avez-vous pris ? — Dix sous. — Cet argent ne vous brûlait pas les mains ? »

Et vous, homme aux mains rouges, ces paroles ne vous brûlaient pas les lèvres ? Sinistres sots qui ne compreniez pas que devant ces enfants jetés dans la rue, sans instruction, sans espoir, par la nécessité que vous leur aviez faite, le coupable c’était vous, ministère public d’une société où des êtres de douze ans, ca-