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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

D’après de nombreux témoignages, la prison la plus cruelle fut celle de Saint-Marcouf. Les prisonniers y restèrent plus de six mois, privés d’air, de lumière, de conversation, de tabac, n’ayant pour nourriture que des miettes de biscuit noir et du lard rance. Ils furent tous atteints de scorbut.

On aura idée des tortures des pontons et des forts loin de la surveillance de l’opinion publique, par celles qui s’étalaient sous l’œil du Gouvernement et de l’Assemblée à Versailles où l’on avouait 8 472 détenus. Le colonel Gaillard, chef de la justice militaire, avait dit aux soldats qui gardaient la prison des Chantiers : « Dès que vous en verrez qui s’agitent, qui lèvent les bras, tirez, c’est moi qui vous l’ordonne. »

Au grenier d’abondance de la gare de l’Ouest, il y avait 800 femmes. Des semaines, ces malheureuses couchèrent sur la paille, ne purent changer de linge. Au moindre bruit, les gardes se précipitaient sur elles et les frappaient, de préférence aux seins. Charles Mercereau, ancien cent-garde, gouvernait cette sentine, faisait attacher celles qui lui déplaisaient, les battait avec sa canne, promenait dans son domaine les belles dames de Versailles, friandes de pétroleuses, disait devant elles à ses victimes : « Allons, drôlesses, baissez les yeux. » Et c’était bien le moins que nos fédérées dussent à ces honnêtes personnes.

Des filles publiques enlevées dans les razzias et soigneusement conservées pour espionner les autres prisonnières, s’abandonnaient aux gardiens en pleine chambrée. Les protestations des femmes de la Commune furent punies de coups de corde. Par un raffinement, les Versaillais courbèrent ces vaillantes sous le niveau des autres ; toutes les prisonnières furent soumises à la visite.

La dignité, la nature outragées, se vengèrent par des crises terribles. « Où est mon père ? mon mari ? Quoi ! seule, et tous ces lâches contre moi ! Moi, la mère, la femme laborieuse, sous le fouet, l’injure, et souillée de ces mains immondes ! » Plusieurs devinrent folles. Toutes eurent leur heure de folie. Celles qui étaient enceintes avortèrent ou rendirent des mort-nés.