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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

sommes sortis. On m’a dit : « C’est Millière. » J’ai veillé à ce que la foule ne se fit pas justice elle-même. Il n’est pas entré dans le Luxembourg, il a été arrêté à la porte. Je m’adressai à lui, et je lui dis : « Vous êtes bien Millière ? — Oui, mais vous n’ignorez pas que je suis député. — C’est possible, mais je crois que vous avez perdu votre caractère de député. Du reste, il y a parmi nous un député, M. de Quinsonnaz, qui vous reconnaîtra[1]. »

« J’ai dit alors à Millière que les ordres du général étaient qu’il fût fusillé. Il m’a dit : « Pourquoi ? »

« Je lui ai répondu : « Je ne vous connais que de nom, j’ai lu des articles de vous qui m’ont révolté ; vous êtes une vipère sur laquelle on met le pied. Vous détestez la société. » Il m’a arrêté en disant avec un air significatif : « Oh ! oui, je la hais, cette société. — Eh bien, elle va vous extraire de son sein, vous allez être passé par les armes. — C’est de la justice sommaire, de la barbarie, de la cruauté. — Et toutes les cruautés que vous avez commises, prenez-vous cela pour rien ? Dans tous les cas, du moment que vous dites que vous êtes Millière, il n’y a pas autre chose à faire. »

« Le général avait ordonné qu’il serait fusillé au Panthéon, à genoux, pour demander pardon à la société du mal qu’il lui avait fait. Il s’est refusé à être fusillé à genoux. Je lui ai dit : « C’est la consigne, vous serez fusillé à genoux et pas autrement. » Il a joué un peu la comédie, il a ouvert son habit, montrant sa poitrine au peloton d’exécution. Je lui ai dit : « Vous faites de la mise en scène, vous voulez qu’on dise comment vous êtes mort ; mourez tranquillement, cela vaut mieux. — Je suis libre, dans mon intérêt et dans l’intérêt de ma cause, de faire ce que je veux. — Soit, mettez vous à genoux. » Alors il me dit : « Je ne m’y mettrai que si vous m’y faites mettre par deux hommes. » Je l’ai fait mettre à genoux et on a procédé à son exécution. Il a crié : « Vive l’humanité ! » Il allait crier autre chose quand il est tombé mort. »

  1. Ce Quinsonnaz fut de la « commission des assassins. »