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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

de sa vie. Il l’appela, il la confessa trente ans à travers l’exil, les prisons, les injures, dédaigneux des persécutions qui brisaient ses os. Jacobin, il tomba avec des socialistes pour la défendre. Ce fut sa récompense de mourir pour elle, les mains libres, au soleil, à son heure, sans être affligé par la vue du bourreau[1].

Les Versaillais s’acharnent toute la soirée contre l’entrée du boulevard Voltaire protégée par l’incendie des deux maisons d’angle. Du côté de la Bastille, ils ne dépassent guère la place Royale ; ils entament le XIIe. Abrités par la muraille du quai, ils avaient, dans la journée, pénétré sous le pont d’Austerlitz. Le soir, couverts par leurs canonnières et leurs batteries du Jardin des Plantes, ils arrivent auprès de Mazas. Notre aile droite a mieux tenu. Les Versaillais n’ont pu dépasser la ligne du chemin de fer de l’est. Ils attaquent de loin la rue d’Aubervilliers, aidée par les feux de la Rotonde. Du haut des buttes Chaumont, Ranvier canonne vigoureusement Montmartre, quand une dépêche lui affirme que le drapeau rouge flotte au moulin de la Galette. Ranvier, n’y pouvant croire, refuse de discontinuer son feu.

Le soir, les Versaillais forment devant les fédérés une ligne brisée qui, partant du chemin de fer de l’est, passant au Château-d’Eau et près de la Bastille, aboutit au chemin de fer de Lyon. Il ne reste à la Commune que deux arrondissements intacts, les XIXe et XXe, et la moitié environ des XIe et XIIe.

Le Paris qu’a fait Versailles n’a plus face civilisée : « C’est une folie furieuse, écrit le Siècle du 26 au matin. On ne distingue plus l’innocent du coupable. La suspicion est dans tous les yeux. Les dénonciations abondent. La vie des citoyens ne pèse pas plus qu’un cheveu. Pour un oui, pour un non, arrêté, fusillé. » Les soupiraux des caves sont murés par ordre de l’armée, qui veut accréditer la légende des pétroleuses. Les gardes

  1. En 1870, au mois d’août, à Bruxelles, où l’exil nous avait réunis, il me dit : « Oui, je crois la République prochaine, mais elle tombera entre les mains de la gauche actuelle, puis une réaction s’en suivra. Moi, je mourrai sur une barricade pendant que M. Jules Simon sera ministre. »