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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

sailles qui fusille les nôtres. » Il fait le geste et les fusils partent. Cinq otages tombent sur une même ligne, à distance égale. Darboy reste debout frappé à la tête. Une seconde décharge le couche. Les corps furent ensevelis la nuit. Genton revint aux barricades où il fut grièvement blessé le lendemain.

À huit heures, les Versaillais serrent de près la barricade de la porte Saint-Martin. Leurs obus ont depuis longtemps allumé le théâtre ; les fédérés pressés par ce brasier sont contraints de se replier.

Cette nuit, les troupes versaillaises bivouaquent devant le chemin de fer de Strasbourg, la rue Saint-Denis, l’Hôtel-de-Ville occupé vers 9 heures par les troupes de Vinoy, l’École polytechnique, les Madelonnettes et le parc Montsouris. Elles figurent une sorte d’éventail dont le point fixe est le Pont au Change, le XIIIe arrondissement le bord droit, celui de gauche les rues du Faubourg-Saint-Martin et de Flandre, l’arc de cercle les fortifications. L’éventail va se refermer sur Belleville qui occupe le centre.

Paris continue de brûler. La Porte-Saint-Martin, l’église Saint-Eustache, la rue Royale, la rue de Rivoli, les Tuileries, le Palais-Royal, l’Hôtel-de-Ville, le Théâtre-Lyrique, la rive gauche depuis la Légion d’honneur jusqu’au Palais de Justice et la Préfecture de police se détachent très rouges dans la nuit très noire. Les caprices de l’incendie échafaudent une flamboyante architecture d’arceaux, de coupoles, d’édifices chimériques. D’énormes champignons blancs, des nuages d’étincelles qui jaillissent très haut, attestent des explosions puissantes. Chaque minute, des étoiles s’allument et s’éteignent à l’horizon. Ce sont les canons fédérés de Bicêtre, du Père-Lachaise, des buttes Chaumont qui tirent à plein fouet sur les quartiers envahis. Les batteries versaillaises répondent du Panthéon, du Trocadéro, de Montmartre. Tantôt les coups se succèdent à intervalles réguliers, tantôt ils roulent sur toute la ligne. Le canon tire sans respirer, les obus impatients éclatent à moitié course. La ville semble se tordre dans une immense spirale de flammes et de fumée.

Quels hommes cette poignée qui, sans chefs, sans espoir, sans retraite, disputent leurs derniers pavés