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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

ligne. De tout leur Paris de dimanche, les fédérés ne possèdent plus que les XIe, XIIe, XIXe, XXe arrondissements et une partie seulement des IIIe, Ve et XIIIe.

Ce jour-là, le massacre prit ce vol furieux qui distança en quelques heures la Saint-Barthélémy. On n’a tué jusque-là que des fédérés ou des personnes dénoncées ; maintenant lorsqu’un soldat vous a fixé il faut mourir ; quand il fouille une maison, tout y passe. « Ce ne sont plus des soldats accomplissant un devoir » écrivait, épouvanté, un journal conservateur, La France ; ce sont des êtres retournés à la nature des fauves. Impossible d’aller aux provisions sans risquer d’être massacré. Ils crèvent à coups de crosse le crâne des blessés[1], fouillent les cadavres [2] ce que les journaux étrangers appelaient « la dernière perquisition », et ce jour même M. Thiers de dire à l’Assemblée : « Nos vaillants soldats se conduisent de manière à inspirer la plus haute estime, la plus grande admiration à l’étranger. »

Alors fut inventée cette légende des pétroleuses qui, propagée par la presse, coûta la vie à des centaines de malheureuses. Le bruit court que des furies jettent du pétrole enflammé dans les caves. Toute femme mal vêtue ou qui porte une boîte au lait, une fiole, une bouteille vide, peut être dite pétroleuse. Traînée, en lambeaux, contre le mur le plus proche, on l’y tue à coups de revolver.

Les échappés des quartiers envahis racontent ces massacres à la mairie du XIe. Là, même confusion qu’à l’Hôtel-de-Ville, plus resserrée et plus menaçante. Les cours étroites sont encombrées. À chaque marche du grand escalier des femmes cousent des sacs pour les barricades. Dans la salle des mariages où se tient la Sûreté générale, Ferré, assisté de deux secrétaires, vise des permis, interroge les gens qu’on lui amène accusés d’espionnage, décide d’une voix tranquille.

À sept heures, un grand bruit se fait devant la prison de la Roquette où l’on a transféré la veille les

  1. Paul Bourget, Figaro, 13 déc 1895.
  2. Appendice XX.