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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

browski reçoit les derniers honneurs. On l’y avait transporté pendant la nuit et dans le trajet, à la Bastille, il s’était passé une touchante scène. Les fédérés de ces barricades avaient arrêté le cortège et placé le cadavre au pied de la colonne de Juillet. Des hommes, la torche au poing, formèrent autour une chapelle ardente, et les fédérés vinrent l’un après l’autre mettre un baiser sur le front du général. Pendant le défilé, les tambours battaient au champ. Le corps, enveloppé d’un drapeau rouge est maintenant confié au cercueil. Vermorel, le frère du général, ses officiers et deux cents gardes environ sont debout, tête nue. « Le voilà ! s’écrie Vermorel, celui qu’on accusait de trahir ! Il a donné un des premiers sa vie pour la Commune. Et nous, que faisons-nous au lieu de l’imiter ? » Il continue, flétrissant les lâchetés et les paniques. Sa parole, embrouillée d’ordinaire, court, échauffée par la passion, comme une coulée de métal fondu : « Jurons de ne sortir d’ici que pour mourir ! » Ce fut sa dernière parole ; il devait la tenir. Les canons à deux pas couvraient sa voix par intervalles. Il y eut bien peu de ces hommes qui ne pleurèrent pas.

Heureux ceux-là qui auront de telles funérailles. Heureux ceux qui seront ensevelis dans la bataille, salués par leurs canons, pleurés par leurs amis.

À ce moment même, on passait par les armes, Vaysset, l’agent versaillais qui s’était flatté de corrompre Dombrowski. Vers midi, les Versaillais poussant avec vigueur leur attaque de la rive gauche avaient enlevé l’École des Beaux-Arts, l’Institut, la Monnaie. Sur le point d’être cerné dans l’île Notre-Dame, Ferré avait donné l’ordre d’évacuer la préfecture de police et de la détruire. On mit au préalable en liberté les quatre cent cinquante détenus, arrêtés pour des délits peu graves. Un seul prisonnier fut retenu, Vaysset, que Hutzinger son associé s’était décidé à livrer l’avant-veille. On le fusilla sur le Pont-Neuf, devant la statue de Henri IV. Au moment de mourir, il dit ces paroles étranges : « Vous répondrez de ma mort au comte de Fabrice. »

Les Versaillais, négligeant la Préfecture, s’engagent dans la rue Taranne et les rues avoisinantes. On les arrête deux heures à la barricade de la place de l’Ab-