Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
277
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

« Je prie M. le ministre de l’Intérieur de faire surveiller M. Le Mère de Beaufond. Je le soupçonne fort d’être un bonapartiste. L’argent qu’il a reçu a servi en grande partie à payer ses dettes. » Par contre, un autre rapport disait : « MM. Domalain, Charpentier et Brière de Saint-Lagier me sont suspects. Ils sont souvent chez Peters, et au lieu de s’occuper de la grande cause de la délivrance, ils imitent Pantagruel. Ils passent pour des orléanistes. »

Le plus remuant de tous, de Beaufond, parvint à se créer des relations à l’état-major du colonel Henry Prodhomme, à l’École militaire commandée par Vinot, à la Guerre où le chef de l’artillerie, Guyet, embrouillait les munitions. Ses agents Lasnier et Laroque manœuvraient un certain Muley qui, ayant surpris l’appui du Comité Central, s’était fait nommer chef de la 17e légion qu’il immobilisait en partie. Un officier d’artillerie, mis à leur disposition par le ministère, le capitaine Piguier, relevait le plan des barricades, et l’un des leurs, Basset, écrivait le 8 mai : « Il n’est pas disposé de torpilles ; l’armée pourra entrer au son de la fanfare. Il y a un désordre affreux dans les différents services. » Tantôt ils faisaient croire aux anciens officiers de la garde nationale que le Comité Central ou la Commune les avaient condamnés à mort et il les enrégimentaient, tantôt ils soutiraient adroitement des informations. Plusieurs occupaient des postes officiels. Devant la cour prévôtale où il fut conduit, Ulysse Parent, ancien membre de la Commune, vit cette scène : « deux ou trois accusés sur lesquels pesaient non les moins lourdes charges — l’un avait été commissaire de police, l’autre directeur d’un dépôt de munitions dans le quartier de Reuilly — après avoir écouté tranquillement le rapport fait contre eux avaient tiré non moins tranquillement un papier de leur poche qu’ils avaient remis aux officiers en leur glissant quelques mots à l’oreille et s’étaient ensuite retirés libres après un salut échangé. »

L’imprudence de certains employés de la Commune favorisait le travail des espions. Des officiers d’état-major, des chefs de service, jouant à l’importance, s’exprimaient hautement dans les cafés des boulevards