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quelques mots coupés de larmes véritables. Un frère revendiqua l’honneur de planter le premier sur les remparts la bannière de sa loge, la Persévérance, fondée en 1790, à l’heure des grandes fédérations. Un membre de la Commune donna le drapeau rouge : « Qu’il accompagne vos bannières. Qu’aucune main ne puisse désormais nous jeter les uns contre les autres, que pour nous embrasser. » Et l’orateur Thirifocq, montrant la bannière de Vincennes : « Nous allons la présenter la première devant les rangs ennemis. Nous leur dirons : Soldats de la mère-patrie, fraternisez avec nous, venez nous embrasser… Si nous échouons, nous irons nous joindre aux compagnies de guerre. »

À la sortie de l’Hôtel-de-Ville, un ballon libre, marqué des trois points symboliques, alla semer dans l’air le manifeste de la Franc-Maçonnerie. L’immense cortège, ayant montré à la Bastille et aux boulevards ses bannières frénétiquement applaudies, arriva, vers deux heures, au rond-point des Champs-Elysées. Les obus du Mont-Valérien l’obligèrent à prendre les voies latérales pour gagner l’Arc de Triomphe. Une délégation de tous les vénérables planta les bannières depuis la porte Maillot jusqu’à la porte Bineau. La bannière blanche fut dressée au poste le plus périlleux, l’avancée de la porte Maillot ; les Versaillais cessèrent leur feu.

Les délégués et quelques membres de la Commune désignés par le sort s’avancent, bannière en tête, dans l’avenue de Neuilly. Au pont de Courbevoie, devant la barricade versaillaise, un officier les reçoit et les conduit au général Montaudon, franc-maçon lui aussi. Ils s’expliquent, demandent une trêve. Le général permet à trois délégués de se rendre à Versailles. Ce soir-là, le silence se fit de Saint-Ouen à Neuilly.

Le lendemain, les délégués revinrent. M. Thiers les avait à peine reçus. Impatient, résolu à ne rien accorder, il ne voulait plus admettre de députation. En même temps les balles versaillaises trouaient les bannières. Les francs-maçons se réunirent aussitôt salle Dourlan et décidèrent d’aller au feu avec leurs insignes. Deux jours après, la Ligue des Droits de Paris décidait qu’elle opposerait au canon de Versailles « une immense quantité de signatures. »