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regrettaient que tant de courage n’eût pas été jeté sur les Prussiens. Sous la panique du 3, il y avait eu des actes héroïques. La Commune, pour faire à ses défenseurs des funérailles dignes d’eux, appela le peuple. Le 6, à deux heures, Une foule accourut à l’hospice Beaujon où les morts étaient exposés visage découvert. Des mères, des épouses, tordues sur les cadavres, jetèrent des cris de fureur et des serments de vengeance. Trois catafalques contenant chacun trente-cinq cercueils, enveloppés de voiles noirs, pavoisés de drapeaux rouges, traînés par huit chevaux, roulèrent lentement vers les grands boulevards, annoncés par les clairons et les Vengeurs de Paris. Delescluze et cinq membres de la Commune, l’écharpe rouge, tête nue, menaient le deuil. Derrière eux, les parents des victimes, les veuves d’aujourd’hui soutenues par celles de demain. Des milliers et des milliers, l’immortelle à la boutonnière, silencieux, marchaient au pas des tambours voilés. Quelque musique sourde éclatait par intervalles comme l’explosion involontaire d’une douleur trop contenue. Sur les grands boulevards, ils étaient deux cent mille et cent mille faces pâles regardaient aux croisées. Des femmes sanglotaient : beaucoup défaillirent. Cette voie sacrée de la Révolution, lit de tant de douleurs et de tant de fêtes, a bien rarement vu pareille flambée de cœurs. Delescluze s’écriait : « Quel admirable peuple ! Diront-ils encore que nous sommes une poignée de factieux ! » Au Père-Lachaise, il s’avança sur la fossé commune. Les cruelles épreuves de la prison de Vincennes avaient brisé son enveloppe si frêle. Ridé, voûté, aphone, maintenu seulement par sa foi indomptable, ce moribond salua ces morts : « Je ne vous ferai pas de longs discours, ils nous ont coûté trop cher… Justice pour les familles des victimes… Justice pour la grande ville qui, après cinq mois de siège, trahie par son gouvernement, tient encore dans ses mains l’avenir de l’humanité… Ne pleurons pas nos frères tombés héroïquement, mais jurons de continuer leur œuvre et de sauver la Liberté, la Commune, la République. »

Le lendemain matin, les Versaillais canonnèrent la barricade et l’avenue de Neuilly. Les habitants qu’ils n’avaient pas eu l’humanité de prévenir furent obligés