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la nuit. Abandonnant le préfet dans le bas-fonds où il l’avait jeté, le lâche Espivent s’était allé cacher, la préfecture envahie, chez la maîtresse d’un commandant de la garde nationale, qu’il fit décorer plus tard pour ce service d’ordre moral. À minuit, il s’esquiva et rejoignit les troupes qui, sans être inquiétées, gagnèrent le village d’Aubagne, à 17 kilomètres de Marseille.

La ville restait entièrement au peuple. Cette victoire complète tourna la tête aux plus ardents. Il n’y a pas de nuances dans cette cité du soleil. Le ciel, la campagne ; les caractères ont des couleurs crues, de bataille. Le 24, les civiques arborèrent le drapeau rouge. La commission qui siégeait sous leur coupe leur parut tiède. Sidore, Desservy, Fulgéras, s’abstenaient de venir à la préfecture. Cartoux était allé se renseigner à Paris. Tout le poids reposait sur Bosc et Bouchet qui s’efforçaient, avec Gaston Crémieux, de régulariser le mouvement, disaient le drapeau rouge dangereux, la détention des otages inutile. Ils devinrent vite suspects et furent menacés. Le 24 au soir, Bouchet, découragé, donna sa démission. Gaston Crémieux alla se plaindre au club de la garde nationale et Bouchet consentit à reprendre son poste.

Le bruit de ces tiraillements courait la ville. La commission annonça, le 25, que « l’accord le plus intime l’unissait au conseil municipal ; » le même jour, le conseil se déclarait le seul pouvoir existant et appelait les gardes nationaux à sortir de leur apathie. Il commençait un jeu misérable entre la réaction et le peuple, copié des députés de la Gauche dont Dufaure s’autorisait dans ses dépêches.

Espivent imitait, lui, la tactique de M. Thiers. Il avait dévalisé Marseille de toutes ses administrations. Les caisses publiques, les services de la place avaient filé sur Aubagne. Quinze cents garibaldiens de l’armée des Vosges qui attendaient leur rapatriement, des soldats qui rejoignaient leurs dépôts en Afrique, sans pain, sans solde, sans feuille de route, seraient restés sur le pavé si Crémieux et Bouchet n’avaient fait nommer par le conseil un intendant provisoire. Grâce à la commission, ceux qui avaient versé leur sang pour la France reçurent du pain et un abri. Crémieux leur dit