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bâclée et honteuse, la monarchie entrevue, les défis et les défaites, la cité vaillante avait tout senti aussi vivement que Paris. La nouvelle du 18 Mars tomba sur une poudrière. Toutefois on attendait des renseignements quand le 22 apporta la dépêche Rouher-Canrobert.

Aussitôt les clubs se remplirent, véritables foyers de l’ardente vie marseillaise. Les radicaux prudents et méthodiques avaient le club de la garde nationale. Les courants populaires s’épanchaient à l’Eldorado, où l’on applaudissait Gaston Crémieux, parole élégante et féminine avec des trouvailles comme il l’avait montré à Bordeaux. Gambetta lui devait son élection à Marseille en 69. Il accourut au club de la garde nationale, dénonça Versailles, dit qu’on ne pouvait laisser périr la République, qu’il fallait agir. Le club, quoique très indigné de la dépêche, ne voulut rien précipiter. Les proclamations du Comité Central n’annonçaient, disait-il, aucune politique nettement définie. Signées d’inconnus, elles étaient peut-être une entreprise bonapartiste.

L’argument devenait ridicule à Marseille, où c’était la dépêche de M. Thiers qui soulevait l’agitation. Qui sentait le bonapartisme, de ces inconnus soulevés contre Versailles ou de M. Thiers protégeant Rouher et ses ministres et se vantant de l’offre de Canrobert ?

Après un discours du substitut du procureur de la République, Bouchet, Gaston Crémieux revint sur son premier mouvement et, accompagné de délégués du club, se rendit à l’Eldorado. Il lut, commenta l’Officiel de Paris et entraîné par sa parole il finit par dire : « Le Gouvernement de Versailles a levé sa béquille contre ce qu’il appelle l’insurrection de Paris ; mais elle s’est brisée dans ses mains et la Commune en est sortie… Jurons que nous sommes unis pour défendre le Gouvernement de Paris, le seul que nous reconnaissions. »

La population se contenait encore ; le préfet la souffleta par une stupide provocation. L’amiral Cosnier, marin distingué, parfaite nullité politique, étranger à ce milieu où il arrivait à peine, fut l’instrument de la réaction. Déjà, plusieurs fois depuis le 4 septembre, elle s’était heurtée à ces gardes nationaux — les civiques — qui avaient proclamé la Commune et expulsé les jé-