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À côté de ces mandarins de la tribune, de l’histoire, du journalisme, incapables de trouver un mot, un geste de vie, voici les fils de la masse, innommés, abondants de volonté, de sève, d’éloquence. Leur adresse d’adieu fut digne de leur avènement : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus… Défiez-vous également des parleurs… Évitez ceux que la fortune a favorisés, car, trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère… Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages. Le véritable mérite est modeste, et c’est aux travailleurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. »

Ils pouvaient « descendre tête haute les marches de l’Hôtel-de-Ville » ces sans-noms qui venaient d’ancrer à port la Révolution du 18 Mars. Nommés uniquement pour défendre la République, jetés à la tête d’une révolution sans précédent, ils avaient su résister aux impatients, contenir les réactionnaires, rétablir les services publics, nourrir Paris, déjouer les pièges, profiter des fautes de Versailles et des maires, et, tiraillés en tous sens, côtoyant à chaque minute la guerre civile, négocier, agir, au moment et à l’endroit voulu. Ils avaient su accoucher l’idée du jour, limiter leur programme aux revendications municipales, amener la population entière aux urnes. Ils avaient inauguré une langue vigoureuse, fraternelle, inconnue aux pouvoirs bourgeois.

Et ils étaient des obscurs, presque tous d’instruction incomplète, quelques-uns des exaltés. Mais le peuple pensa avec eux, leur envoya ces bouffées d’inspiration qui firent la Commune de 92-93 grande. Paris fut le brasier, l’Hôtel-de-Ville la flamme. Dans cet Hôtel-de-Ville où des bourgeois illustres avaient accumulé trahisons sur déroutes, des premiers venus trouvèrent la victoire pour avoir écouté Paris.

Que leurs services les absolvent d’avoir laissé sortir l’armée, les fonctionnaires et réoccuper le Mont-Valérien. On dit qu’ils auraient dû marcher le 19 ou le 20