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Prussien ne levant personne, le ministère entier vient à la rescousse : « On répand le bruit absurde que le Gouvernement prépare un coup d’État… Il a voulu et veut en finir avec un comité insurrectionnel, dont les membres ne représentent que les doctrines communistes et mettraient Paris au pillage et la France au tombeau. » Ces évocations de Juin tirent pitié. Les bataillons de l’ordre auraient pu aligner un contingent sérieux ; il vint cinq à six cents hommes.

M. Thiers et son Gouvernement s’étaient réfugiés aux Affaires étrangères. Quand il sut la débandade des troupes, il donna l’ordre de les faire replier sur le Champ de Mars. Abandonné par les bataillons bourgeois, il parla d’évacuer Paris, d’aller refaire une armée à Versailles. Vieille idée girondine proposée à Charles X par Marmont, à Louis-Philippe, à l’Assemblée de 48, et qui avait réussi au général autrichien Windischgrœtz. Plusieurs ministres se récrièrent, voulaient qu’on gardât quelques points, l’Hôtel-de-Ville, ses casernes occupées par la brigade Derroja, l’École militaire, et qu’on prît position sur le Trocadéro. Le petit homme ne voulut entendre qu’à un parti extrême, décida qu’on évacuerait toute la ville, même les forts du sud restitués par les Prussiens quinze jours auparavant. Vers trois heures, les bataillons populaires du Gros-Caillou défilèrent devant l’hôtel, tambours et clairons en tête. Les ministres se crurent perdus[1]. M. Thiers se sauva par un escalier dérobé et partit pour Versailles tellement hors de sens que, au pont de Sèvres, il donna l’ordre écrit d’évacuer le Mont Valérien.

À l’heure où il fuyait, les bataillons fédérés n’avaient rien tenté contre rien. L’agression du matin surprit le Comité Central comme tout Paris [2]. La veille au

  1. M. Thiers, dans l’Enquête, dit d’abord : « On les laissa défiler, » puis vingt lignes plus bas : « On les refoula. » Le général Leflô n’a pas caché la peur du Conseil. « Le moment me parut critique et je dis : « Je crois que nous sommes flambés, nous allons être enlevés… Et en effet, les bataillons n’avaient qu’à pénétrer dans le palais et nous étions pris jusqu’au dernier. Mais les trois bataillons passèrent sans rien dire. »
  2. Appendice II.