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a arrêté les chevaux, coupé les traits, pénétré les soldats et ramené à bras les canons sur les buttes ; les soldats qui gardent le bas de la rue, la place Blanche, ont levé la crosse en l’air. Place Pigalle, le général Susbielle ordonne de charger la foule amassée rue Houdon. Intimidés, par les appels des femmes, les chasseurs poussent leurs chevaux à reculons et font rire. Un capitaine s’élance, sabre en main, blesse un garde et tombe criblé de balles. Les gendarmes qui ouvrent le feu derrière les baraquements du boulevard sont délogés. Le général Susbielle disparaît. Vinoy, posté place Clichy, tourne bride. Une soixantaine de gendarmes faits prisonniers sont conduits à la mairie de Montmartre[1]. Aux buttes Chaumont, à Belleville, au Luxembourg, le peuple avait également arrêté, repris ses pièces. À la Bastille, où le général Leflô manque d’être pris, la garde nationale fraternise avec les soldats. Sur la place, un moment de grand silence. Derrière un cercueil qui vient de la gare d’Orléans, un vieillard tête nue que suit un long cortège : Victor Hugo mène au Père-Lachaise le corps de son fils Charles. Les fédérés présentent les armes et entr’ouvrent les barricades pour laisser passer la gloire et la mort.

À onze heures, le peuple a vaincu l’agression sur tous les points, conservé presque tous ses canons — les attelages n’en ont emmené que dix — gagné des milliers de fusils. Les bataillons fédérés sont debout ; les faubourgs se dépavent.

Depuis six heures du matin, d’Aurelles de Paladine faisait battre inutilement le rappel dans les quartiers du centre. Des bataillons jadis archi-trochéens n’envoyaient pas vingt hommes au rendez-vous. Tout Paris en lisant les affiches avait dit : « C’est le coup d’État. » À midi, d’Aurelles et Picard sonnent le grand bourdon : « Le Gouvernement vous appelle à défendre vos foyers, vos familles, vos propriétés. Quelques hommes égarés, n’obéissant qu’à des chefs occultes, dirigent contre Paris les canons qui avaient été soustraits aux Prussiens. » Cette accusation d’indélicatesse envers le

  1. Alors place des Abbesses