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hommes environ. Le quartier dort. La brigade Paturel occupe sans coup tirer le moulin de la Galette. La brigade Lecomte gagne la tour de Solférino et ne rencontre qu’un factionnaire : Turpin. Il croise la baïonnette : les gendarmes l’abattent, courent au poste de la rue des Rosiers, l’enlèvent et jettent les gardes dans les caves de la tour. Aux buttes Chaumont, à Belleville, les canons sont pareillement surpris. Le Gouvernement triomphe sur toute la ligne, d’Aurelles envoie aux journaux une proclamation de vainqueur ; elle parut dans quelques feuilles du soir.

Il ne manquait que des chevaux et du temps pour déménager cette victoire. Vinoy l’avait à peu près oublié. À huit heures seulement, on commença d’atteler quelques pièces ; beaucoup étaient enchevêtrées, n’avaient pas d’avant-train.

Pendant ce temps les faubourgs s’éveillent. Les boutiques matinales s’ouvrent. Autour des laitières, devant les marchands de vin, on parle à voix basse ; on se montre les soldats, les mitrailleuses braquées contre les voies populeuses, sur les murs une affiche toute humide signée Thiers et ses ministres. Ils parlent du commerce arrêté, des commandes suspendues, des capitaux effarouchés. « Habitants de Paris, dans votre intérêt, le Gouvernement est résolu d’agir. Que les bons citoyens se séparent des mauvais ; qu’ils aident la force publique. Ils rendront service à la République elle-même », disent MM. Pouyer-Quertier, de Larcy, Dufaure et autres républicains. La fin est une phrase de Décembre 51 : « Les coupables seront livrés à la justice. Il faut à tout prix que l’ordre renaisse, entier, immédiat, inaltérable… » On parlait d’ordre, le sang allait couler.

Les femmes partirent les premières comme dans les journées de Révolution. Celles du 18 Mars, bronzées par le siège — elles avaient eu double ration de misère — n’attendirent pas leurs hommes. Elles entourent les mitrailleuses, interpellent les chefs de pièce : « C’est indigne ! qu’est-ce que tu fais là ? » Les soldats se taisent. Quelquefois un sous-officier : « Allons, bonnes femmes, éloignez-vous ! » La voix n’est pas rude ; elles restent. Tout à coup, le rappel bat. Des gardes nationaux ont découvert deux tambours au poste de la