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Sera couché demain dans un étroit tombeau.
Jetterais-tu sur lui quelques regards d’envie ?
Sois tranquille il t’a lu. Rien ne peut lui donner
Ni consolation, ni lueurs d’espérance !
. . . . . . . .
Penses-tu cependant que si quelque croyance,
Si le plus léger fil le retenait encor,
Il viendrait sur ce lit prostituer sa mort ?
. . . . . . . .
Voilà pourtant ton œuvre, Arouet, voilà l’homme
Tel que tu l’as voulu. — C’est dans ce siècle-ci,
C’est d’hier seulement qu’on peut mourir ainsi.
. . . . . . . .
Et que nous reste-t-il, à nous, les déicides ?
Pour qui travailliez-vous, démolisseurs stupides,
Lorsque vous disséquiez le Christ sur son autel ?
Que vouliez-vous semer sur sa céleste tombe
Quand vous jetiez au vent la sanglante colombe
Qui tombe en tournoyant dans l’abîme éternel ?
Vous vouliez pétrir l’homme à votre fantaisie ?
Votre monde est superbe et votre homme est parfait !
Les monts sont nivelés, la plaine est éclaircie ;
Vous avez sagement taillé l’arbre de vie ;
Tout est bien balayé sur vos chemins de fer,
Tout est grand, tout est beau. — Mais on meurt dans votre air.
Vous y faites vibrer de sublimes paroles :
Elles flottent au loin dans les vents empestés :
Elles ont ébranlé de terribles idoles ;
Mais les oiseaux du ciel en sont épouvantés.
L’hypocrisie est morte, on ne croit plus aux prêtres.

Et Rolla qui doit se tuer le lendemain matin se lève et pour donner le temps de la réflexion vient à la fenêtre de Marion demander à l’aurore le secret de l’amour. Il l’a trouvé, il aime Marion. Il se tue. Pourquoi ? sa vie commençait alors. Pourquoi il se tue ? Enlevez donc à ce drame le vêtement qui le pare, cette forme si souvent enchanteresse, transcrivez Rolla en prose, vous verrez alors quel résidu hideux restera au fond du creuset. Tu as commencé par tout mépriser, Rolla !