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les enfreindre du moment qu’il se permet des réflexions sur les inconvéniens dont toutes, peut-être, sont susceptibles. La guerre est un état violent, elle entraîne des mesures extraordinaires et une foule de malheurs inévitables qu’on ne souffre que pour en éviter de plus grands. Sans doute il est affreux d’exposer la population entière d’une grande ville à l’emportement d’un vainqueur qui peut l’enlever d’assaut ; mais n’est-il pas plus affreux encore d’abandonner à sa licence et à la dévastation tout le pays couvert par cette place d’exposer une armée dont elle peut couvrir le flanc et les derrières, à être prise à revers et à être complètement détruite, lorsqu’elle touchait au moment de recueillir le fruit de ses travaux ?

Mais c’est d’ailleurs mal saisir l’esprit du règlement que de lui imputer le danger imminent de laisser passer au fil de l’épée les citoyens d’une ville. Ce règlement prescrit de soutenir l’assaut au corps de la place ; mais il le prescrit, parce qu’il suppose que, conformément aux règles d’une bonne défense, le commandant n’aura point négligé de faire faire derrière la brèche un retranchement capable d’arrêter l’ennemi tout court, quand même l’assaut lui aurait réussi. Ce commandant est condamnable, non pas précisément pour n’avoir pas soutenu un assaut qui aurait pu compromettre le salut des habitans, mais au contraire, pour n’avoir pas pourvu de bonne heure à la sûreté de ces mêmes habitans par la construction d’un bon retranchement qui l’aurait mis en état de soutenir l’assaut avec sécurité.

La loi du 26 juillet 1792, article 1er, interprète la lettre de Louis XIV par le texte suivant :

Tout commandant de place forte ou bastionnée qui la rendra à l’ennemi avant qu’il y ait brèche accessible et praticable au corps de place, et avant que le corps de plane ait soutenu au moins un assaut, si toute fois il y a un retranchement intérieur derrière la brèche, sera puni de mort, à moins qu’il ne manque de munitions et de vivres.

Mais ce texte ne justifie point te commandant de s’être rendu avant d’avoir soutenu l’assaut, parce que cela ne le dispense pas de faire un retranchement, à moins que, par quelque circonstance imprévue, il n’y eût impossibilité constatée. Ainsi l’objection tombe d’elle-même, et la responsabilité du commandant reste entière, sans que le salut des habitans soit compromis.

Le coupable, s’il arrivait qu’une place fût par évènement emportée d’assaut, après une résistance courageuse et bien entendue, ne serait point celui qui l’aurait soutenue au péril de sa vie, mais celui qui abuserait de sa victoire. Le premier a rempli héroïquement ses devoirs, le second déshonore son triomphe. Et qu’on ne dise point que le pillage est un droit de la guerre ; ce droit n’exista jamais que parmi les barbares ; les généraux les plus recommandables se sont, dans tous les temps, efforcés de le réprimer et souvent ils y ont réussi, ainsi que le M. le maréchal de Saxe à la prise de Prague qu’il emporta par escalade. Il y donna de si bons ordres, que les soldats ne commirent aucun excès dans la ville. Il est vrai néanmoins qu’un gouverneur ne doit pas exposer la bourgeoisie à une semblable incertitude il doit commencer par assurer les derrières de la brèche par un bon retranchement, et la bourgeoisie elle-même, dont ce retranchement fait la sûreté, doit partager à cet égard les travaux de la garnison.