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Durant ces guerres d’Allemagne, le roi avait toujours la guerre avec l’Espagne en Catalogne et en Flandre, et comme celles-ci se font de frontière à frontière, que chaque puissances des places, fortmées, où l’on fait des magasins d’artillerie et de vivres, que l’on y cuit le pain pour les armées, et qu’on le leur voiture tous les quatre à cinq jours dans les camps où elles vont, toutes les troupes accoutumées à une façon de vivre semblable quand on les envoyait servir en Allemagne, ne pouvaient qu’avec peine et avec le temps s’accoutumer à chercher des blés, les faire moudre et cuire le pain. Vous verrez, par le récit de M. de Turenne, qu’une des raisons qui furent apportées, après les combats de Fribourg, de ne pouvoir marcher dans le pays de Würtemberg, était que n’y ayant pas de magasins pour fournir le pain aux troupes de l’armée de M. le Prince, qui venaient de celles de Flandre, accoutumées qu’elles étaient à le recevoir régulièrement, et non à chercher des blés pour en faire, elles auraient eu de la peine à subsister.

Dans la troisième sorte de guerre que traite M. de Turenne, qui est celle de frontière à frontière en Flandre contre l’Espagne, et qui continua toujours, quoique la guerre civile eût cessé dans ie royaume, les armées étaient de part et d’autre de quinze, vingt et rarement trente mille hommes. Les troupes étaient assez bien payées. Il y avait dans les places des magasins suffisans d’artillerie et de vivres.

Il faut lire ces trois sortes de guerres que M. de Turenne a décrites, les comparer entre elles, et ensuite avec une quatrième, telle qu’ont été celles qui se sont faites de nos jours, où les armées ont été si nombreuses, pour connaître laquelle des quatre est la plus difficile à conduire, et demande le plus de science dans un général.

Je dirai premièrement que dans les deux sortes de guerres civiles dont parle M. de Turenne un général est toujours arrêté par le manquement de fonds et de magasins, souvent contraint malgré lui de prendre des situations, et d’occuper des endroits où il connaît qu’il n’est pas en sûreté, et ce, par la nécessité où il est de chercher à donner à vivre à son armée, et d’avoir de quoi la rétablir des pertes qu’elle fait journellement ; s’il ne le fait pas, elle devient à rien. De plus, les troupes se mutinent faute de paye ; la plus grande partie abandonne cette armée tout à coup, ou déserte en délail, comme l’on voit que cela arrive à M. de Turenne ; ainsi le général le plus sage et le plus capable ne peut se mettre à l’abri de ces accidens.

Au contraire, dans une guerre de frontière avec des armées depuis quinze jusqu’à trente mille hommes, un général qui a ses fonds réglés, ses magasins dans les places, n’est pas exposé à tous ces accidens. Il peut donner carrière à ses talens et à son savoir pour prendre sur son ennemi tous les avantages qui lui paraissent possibles, et pour tout entreprendre sans crainte d’être arrêté par le défaut des choses nécessaires à l’exécution. Ainsi, de ces trois sortes de guerres, la dernière est à préférer pour un général, elle l’est encore à la quatrième, qui est celle de frontière à frontière telles qu’elles se sont faites de nos jours avec des armées de quatre-vingt mille hommes, contre d’autres qui seraient d’égales forces. et qui auraient aussi leurs fonds et leurs magasins d’artillerie suffsamment fournis. Chacune des trois premières guerres a même sur cette dernière un grand avantage.