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Diversité des opinions sur les ordres de bataille. — Exemple de quelques fautes commises à ce sujet en différentes occasions.

L’usage ancien des ordres de bataille, suivi encore aujourd’hui de plusieurs personnes, est de donner autant de distance entre les bataillons et entre les escadrons qu’ils ont de front, en sorte que ceux de la seconde ligne soient placés vis-à-vis les intervalles de ceux de la première, afin que quand oh fait avancer celle-là, elle entre dans tes intervalles de celle-ci, et que par là les deux lignes, tant pleines que vides, n’en forment plus qu’une pleine. D’autres, comme je l’ai dit ci-dessus, ne donnent que moitié du front pour la distance d’un bataillon et d’un escadron à l’autre, d’autres seulement un tiers.

Quand on a assez de troupes pour former la ligne pleine, il n’y faut pas manquer. Cependant, dira-t-on, il s’est vu des lignes, tant pleines que vides, en battre de pleines. Il est vrai, je l’ai vu moi-même, à Leuze en 1691, à Fridlingen en 1703 ; mais cela ne[1] prouve rien ; car outre l’ordre de bataille, il y a d’autres parties qui, dans l’action, doivent concourir en même temps pour donner la victoire, et qui ont manqué à ceux qui avaient l’avantage de la ligne pleine, ainsi que je l’ai fait voir quand j’ai traité des ordres de bataille.

Une preuve de ce que je dis ici, c’est que le même corps de cavalerie, que j’ai vu battre la ligne pleine, s’étant encore, dans une autre occasion, mis en bataille tant pleine que vide, fut battu à Ramillies en 1706, et voici comment. L’armée dont il faisait partie approchait de la force de celle dont il est ici question ; elle était en bataille dans une plaine, entre deux ruisseaux peu distans l’un de l’autre, le flanc droit appuyé à une petite rivière. Le ruisseau qui était devant elle ne bordait pas tout le front de l’armée, la moitié du front de l’aile droite n’en était pas couverte.

L’ennemi, après s’être mis en bataille vis-à-vis cette armée, le ruisseau entre deux, jugeant bien qu’elle ne songeait qu’à défendre son poste, et qu’elle ne passerait pas ce ruisseau pour aller attaquer son aile droite, tira une partie de sa cavalerie de cette aile pour en fortifier son aile gauche, qui était vis-à-vis le front de notre aile droite. où il n’y avait pas de ruisseau, et qui était la partie dont le flanc était appuyé à la rivière. Cette même cavalerie, qui, dans une autre occasion, avait battu la ligne pleine, se mit encore en bataille tant pleine que vide, suivant l’usage qu’elle pratiquait aux revues, quoiqu’elle fût composée d’un nombre suffisant d’escadrons pour la rendre pleine. L’ennemi forma de sa cavalerie plusieurs lignes pleines l’une derrière l’autre ; sans approcher sa droite, et fort peu son centre, forma comme une ligne oblique, et avec sa gauche vint charger cette ligne tant pleine que vide, laquelle, se trouvant chargée de front, tandis que chaque escadron était encore pris en flanc par ceux qui étaient vis-à-vis les vides, ne put soutenir le choc malgré toute la valeur de ce corps ; et comme il n’était soutenu que par des troupes qui n’étaient pas de

  1. Limiers, Histoire de France, dit, au contraire, que les ennemis furent battus, parce qu’ils y avaient de trop grandes distances entre leurs escadrons ; mais la relation de l’affaire de Leuze, dans les campagnes de M. de Luxembourg, dit que les ennemis étaient sur trois lignes, qu’ils avaient cinquante six escadrons et des détachemens ; d’ailleurs qu’ils se mirent sur trois et quatre lignes, étant serrés de droite et de gauche.