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elles mettaient toujours en pratique ce que la théorie leur avait appris ; c’est ce qui paraît par le bon ordre observé dans tous les mouvemens de leurs armées, et dans les combats où ils se trouvaient.

Il est à croire que Philippe avait instruit Alexandre, comme on voit dans la Cyropédie que Cambyse instruisait Cyrus ; qu’il faisait entrer ce prince dans son conseil, et lui communiquait tous ses projets ; d’ailleurs il lui avait donné les maîtres les plus habiles, pour apprendre les sciences et surtout celle de la guerre. Sans théorie aurait-il pu, à son âge, avoir acquis cette science par la seule pratique, puisqu’elle ne consiste pas seulement dans les ordres de bataille, comme plusieurs se l’imaginent, mais dans des parties bien supérieures, et qui sont particulières à celui qui commande en chef.

Quelque grand que ce héros nous soit représenté dans les batailles, où l’on voit que c’est lui qui conduit tout, je le trouve encore bien plus grand dans son plan général pour la conquête de l’Asie, et dans sa conduite également savante, prudente et suivie, pour y réussir et s’y maintenir[1].

Le gain d’une bataille ne dépend pas uniquement du chef ; il ne peut y contribuer que d’une partie. Mais faire le plan générai d’une guerre, le bien suivre, le bien exécuter, l’honneur en est dû sans partage à celui qui commande et qui l’a entrepris.

Quand on voit Alexandre partir de Macédoine avec trente mille hommes de pied et cinq à six mille chevaux, passer l’Hellespont pour conquérir l’Asie, il paraît qu’il y dans cette entreprise quelque chose au dessus de l’homme. Mais quand, après avoir lu Hérodote, Xénophon et Thucydide, où l’on voit quelle était l’ignorance des Perses dans la guerre et dans le gouvernement d’un si vaste empire, on vient à lire ensuite le récit tout simple que fait Arrien de la conduite d’Alexandre pour s’en rendre le maître ; le discours seul qu’il tient à ses généraux, sur la nécessité de la copquête de Tyr et des villes maritimes de l’Égypte, fait voir, par la solidité de son projet, quelle était l’étendue de son génie. Voici ses paroles, après avoir fait retirer les députés de Tyr :

« Mes amis et mes compagnons, je ne vois pas que nous puissions aisément attaquer l’Égypte, tandis que les Perses seront maîtres de la mer, ni poursuivre Darius, si nous laissons derrière tant de pays suspects ou ennemis car outre l’incommodité que cela apportera à notre dessein, cela sera capable de ruiner les affaires de la Grèce. Nos ennemis pourront reprendre les villes maritimes en notre absence, et après avoir grossi leur armée navale, transporter la guerre en notre pays, tandis que nous serons à poursuivre Darius dans les plaines de Babylone. Cela est d’autant plus à craindre, que nous avons guerre ouverte avec les Lacedémoniens, et que les Athéniens demeurent dans notre parti plutôt par crainte que par amour ; mais quand nous serons une fois maîtres de Tyr, nous le serons après de toute la Phénicie, et nous ôterons aux Perses la moitié de leur armée navale, qui est composée de la flotte de cette province ; si ce n’est qu’on s’imagine que voyant leurs villes entre nos mains, ils veulent encore demeurer au service de nos ennemis. Ensuite, ou la Chypre se joindra à nous, ou il nous

  1. Tout le monde n’est pas du même sentiment, et l’on accuse souvent Alexandre de trop de témérité.