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POLYBE, LIV. XXXII.

que pour s’enrichir des dépouilles d’autrui, on croyait cependant sa conduite fondée sur quelque raison et autorisée par les Romains ; et ce qui le faisait croire, c’est le nombre d’amis qu’il s’était faits autrefois à Rome, et la liaison qu’il avait avec le vieillard Myrton, son fils Nicanor, et plusieurs autres hommes graves, amis des Romains, et qui, jusque là irréprochables, s’étaient prêtés je ne sais comment a ses injustices. Appuyé de ces suffrages, après avoir fait mourir beaucoup de personnes, les unes en plein marché, les autres dans leurs maisons, quelques-unes dans la campagne et sur les grands chemins, et avoir pris leurs biens, il s’avisa d’un autre stratagème. Il proscrivit tous les exilés, tant hommes que femmes, qui étaient riches, et, la terreur ainsi répandue, il tira des hommes et fit tirer des femmes par Philotides sa mère, tout l’argent qu’il put ; car cette Philotides, du côté de la douceur et de la compassion, n’avait rien des personnes de son sexe. Ces malheureux n’en furent pas quittes pour la perte de leur argent : on ne laissa pas, malgré cela, de les dénoncer au peuple et de faire leur procès, et l’on trouva des juges qui, par faiblesse ou par surprise, les condamnèrent non au bannissement, mais à la mort, comme coupables de n’avoir point été pour les Romains. Ils avaient tous pris la fuite pour sauver leur vie, lorsque Charops, bien fourni d’argent et accompagné de Myrton, partit pour se rendre à Rome et y faire ratifier par le sénat ses injustes procédés. Mais les Romains donnèrent alors une belle preuve de leur équité et un spectacle bien agréable à tous les Grecs qui étaient alors à Rome, et surtout à ceux d’entre eux qui avaient été évoqués dans la ville ; car Marcus Émilius Lépidus, grand prêtre et prince du sénat, et Paul-Émile, le vainqueur de Persée, homme puissant et d’un grand crédit, informés de ce que Charops avait fait dans l’Épire, lui défendirent de mettre le pied dans leurs maisons. Cette défense, devenue bientôt publique, fit un extrême plaisir à tout ce qu’il y avait alors de Grecs dans Rome. Ils furent charmés de voir la haine que les Romains témoignaient pour les méchans. Quelque temps après, Charops entra dans le sénat, mais on ne lui donna pas place parmi les personnes distinguées, et on ne lui rendit pas de réponse. On dit simplement qu’on donnerait des ordres aux députés qu’on enverrait sur les lieux. Malgré une réception si disgracieuse, Charops, au sortir du sénat, ne laissa pas d’écrire dans son pays que les Romains avaient approuvé tout ce qu’il avait fait. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Eumène.


Ce prince avait le corps faible et délicat, l’âme grande et pleine des plus nobles sentimens. Il ne cédait en rien aux rois de son temps : du côté des belles inclinations, il les surpassait tous. Le royaume de Pergame, quand il le reçut de son père, se réduisait à un très-petit nombre de villes qui méritaient à peine ce nom ; il le rendit si puissant, que ceux qui l’étaient le plus lui étaient tout au plus égaux. Il ne dut rien ni au hasard, ni à la fortune ; tout lui vint de sa prudence, de son assiduité au travail, de son activité. Avide d’une belle réputation, il fit plus de bien à la Grèce et enrichit plus de particuliers qu’aucun des princes de son siècle. Pour achever son portrait, il sut si bien tenir en respect ses trois frères, quoique tous fussent dans un