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POLYBE, LIV. XXXII.

tant avec eux une couronne de mille pièces d’or, et suivis du meurtrier d’Octavius. Le sénat délibéra long-temps sur les mesures qu’il avait à prendre en cette occasion. Les ambassadeurs furent enfin introduits ; on reçut gracieusement leur couronne. Mais pour Leptine, l’assassin de Caïus, et Isocrate, on leur interdit l’entrée du sénat. Cet Isocrate était un de ces grammairiens qui publiquement déclament des pièces de leur métier, grand parleur, vain jusqu’à la fatuité, et odieux aux Grecs mêmes ; car jamais il ne se trouvait en concours avec Alcée, que ce poëte ingénieux ne lui lançât quelques bons mots et ne le tournât en ridicule. Ce grammairien, étant venu en Syrie, commença par se mettre les Syriens à dos par le mépris qu’il en faisait ; puis, se croyant trop resserré dans les bornes de sa profession, il s’avisa de parler des affaires d’état, et de débiter partout qu’Octavius avait été tué à juste titre ; que les autres députés avaient mérité le même sort ; qu’il ne devait pas en rester un seul pour porter la nouvelle de leur mort aux Romains ; qu’un tel événement aurait humilié leur orgueil, et les aurait obligés de tempérer l’insolente autorité qu’ils usurpaient. Voilà ce qui lui attira son malheur. On remarque sur ces deux criminels un chose qui mérite, en effet, d’être transmise à la postérité. Malgré l’assassinat qu’il avait commis, Leptine ne discontinua pas de se promener tête levée dans Laodicée, et de dire tout haut qu’il avait très-bien fait de poignarder Octavius ; il ne craignait pas même d’assurer que celle belle action ne s’était faite que par l’inspiration des dieux. Bien plus, quand Démétrius fut en possession du royaume, il alla le trouver, et lui dit de ne pas s’inquiéter du meurtre du député ; qu’il ne décernât pour cela rien de rigoureux contre les Laodicéens ; que lui-même il irait à Rome, et prouverait au sénat que c’était par l’ordre des dieux qu’il avait égorgé Octavius ; et il parut, en effet, si disposé à y aller, qu’on l’y conduisit sans le lier et sans le garder. Au contraire, Isocrate n’eut pas été plutôt dénoncé, que son esprit fut troublé. Dès qu’il se vit une chaîne au cou, il ne prit plus de nourriture que très-rarement, il n’eut plus soin de son corps. Quand il entra dans Rome, ce fut un spectacle qui fit horreur. Aussi faut-il convenir que l’homme, soit par rapport au corps, soit par rapport à l’âme, est le plus horrible de tous les animaux quand il se livre au désespoir. Sa figure faisait peur à voir ; à la saleté de son corps, à ses ongles et à ses cheveux, qui n’avaient été nettoyés ni coupés depuis plus d’un an, on l’aurait pris pour une bête féroce ; ses regards ne faisaient que confirmer dans cette idée. En un mot, on ne pouvait le regarder sans se sentir beaucoup plus d’aversion pour lui que pour tout autre animal. Leptine joua beaucoup mieux son personnage ; il persista dans ses premiers sentimens, toujours prêt à soutenir sa cause devant le sénat, faisant gloire de son action en quelque compagnie qu’il se trouvât, et prétendant que jamais les Romains ne l’en puniraient. Il prédit vrai. Le sénat, si je ne me trompe, crut que, dans l’esprit de la multitude, c’était avoir puni le crime que d’avoir le criminel entre les mains, et d’être en pouvoir de le punir quand on le jugerait à propos. C’est pour cela apparemment qu’il ne voulut ni entendre ces deux Syriens, ni prendre alors connaissance de cette affaire. Il se contenta de répondre aux ambassadeurs de Démétrius, que le roi leur maître serait ami des Romains tant qu’il leur serait aussi soumis qu’il l’était pendant qu’il demeurait à Rome. (Ambassades.) Dom Thuillier.