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si l’on s’en écartait ou que l’on tombât, on disparaissait dans les précipices.

Aucun découragement ne se manifesta pourtant parmi les troupes, accoutumées qu’elles étaient à de pareils accidens ; mais ayant rencontré un éboulement assez considérable, qui ne permettait plus aux éléphans ni aux chevaux de charge de descendre, l’armée fut remplie d’effroi.

Au premier moment, le général voulut tourner ce point difficile ; la neige rendant tout autre passage impraticable, il fut obligé d’y renoncer. Il campa à l’entrée du chemin dégradé, fit enlever la neige, et l’on se mit à l’ouvrage pour reconstruire cet espace de trois demi-stades (trois cent trente-sept pieds romains), le long du précipice. En un jour il fut assez bon pour les chevaux et les bêtes de somme ; et au bout de trois jours, les Numides, chargés de ce travail, parvinrent à faire passer les éléphans. La faim les avait réduits à l’état le plus déplorable.

Un tort d’Annibal fut d’amener ces éléphans. Il connaissait la nature humaine, et pensait que tout ce qui impose aux sens et à l’imagination est un grand moyen de vaincre ; mais avant d’avoir pu tirer parti de ces animaux vis-à-vis des Romains (peu susceptibles d’ailleurs de se laisser effrayer par eux à cette époque), que de soins, d’embarras, de dépenses, ne durent-ils pas coûter ! Il en périt un grand nombre dans les Alpes ; les autres moururent de maladies, de fatigues, ou dans les premiers combats livrés aux Romains. Enfin, à la bataille du Thrasymène, la seconde année de l’entrée d’Annibal en Italie, de trente-sept éléphans qu’il avait en sortant d’Espagne, il ne lui en restait plus qu’un qu’il montait. Ces masses ne lui furent donc d’aucune ressource ; et de combien de soldats n’entrainèrent-elles pas la perte.

Annibal accomplit sa marche depuis Carthagène ou Carthage-la-Neuve, jusqu’au pied des Alpes, du côté de l’Italie, en cinq mois. Il y a en effet cet espace de temps à partir de la fin de mai ou du commencement de juin époque de la moisson dans le royaume de Murcie, jusqu’au premier novembre, jour de l’arrivée d’Annibal aux environs de la cité d’Aost. Il ne lui restait plus que douze mille hommes d’infanterie africaine, huit mille espagnols, et six mille chevaux.

L’état de délabrement et de faiblesse de cette armée, nécessita un repos de dix à douze jours dans la vallée d’Aost, vallée grande et fertile, qui permettait aux Carthaginois de prendre des quartiers de rafraîchissement. Ils y trouvèrent en abondance du bétail, des légumes, et des fourrages.

L’armée se trouvait alors dans le pays des Salasses, peuple qui n’avait point encore été soumis par les Romains, et qui probablement se trouvait allié des Insubres. Polybe ne paraît pas distinguer l’un de l’autre, lorsqu’il dit qu’Annibal entre hardiment dans les plaines qui avoisinent le Pô, et dans le pays des Insubres.

Apprenant que ses futurs alliés sont en guerre avec les Taurins, le général carthaginois propose à ces derniers d’entrer dans la ligue contre Rome ; et sur leur refus, quitte la route de Milan, capitale de l’Insubrie, pour marcher sur Turin, ville principale de l’autre peuple.

Il regardait comme important de ne pas laisser d’ennemis sur ses derrières. Turin fut pris en trois jours, et l’on passa au fil de l’épée ceux qui avaient refusé son alliance. Cette expédition lui devint très utile, puisqu’elle ramena

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