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POLYBE, LIV. XXII.

garder dans l’Asie, il me semble qu’il n’y a personne à qui vous puissiez plus justement céder qu’à moi les pays qui ont été conquis pendant la guerre. N’est-il pas plus beau, me direz-vous, de mettre en liberté des villes qui sont en servitude ? Oui, sans doute, si elles n’ont point eu l’audace de se joindre avec Antiochus contre vous. Mais, puisque vous avez cette faute à leur reprocher, il y a plus de gloire à rendre, à ses vrais amis, bienfait pour bienfait, qu’à favoriser ses ennemis. » Eumène, ayant ainsi parlé, se retira, laissant le sénat fort touché de son discours et très-disposé à ne rien négliger pour le satisfaire.

Après le roi de Pergame, on voulait entendre les Rhodiens ; mais, quelqu’un de ces ambassadeurs étant absent, on appela les Smyrnéens, qui justifièrent, par un grand nombre de faits, l’attachement qu’ils avaient eu pour les Romains pendant la dernière guerre, et la vivacité avec laquelle ils étaient accourus à leur secours. Mais, comme il est constant que, de tous les Grecs qui vivent dans l’Asie sous leurs propres lois, il n’est aucun peuple qui ait marqué plus d’ardeur et de fidélité pour les Romains, il serait inutile de rapporter ici en détail tout ce qu’ils dirent dans le sénat.

Les Rhodiens entrèrent après eux et commencèrent par les services qu’ils avaient rendus aux Romains. Ils ne furent pas longs sur cet article, ils vinrent bientôt à ce qui touchait leur patrie. « Il est bien triste pour nous, dirent-ils, que la nature même des affaires ne nous permette pas de penser dans cette occasion comme un prince avec qui d’ailleurs nous sommes très-unis. Nous sommes dans cette persuasion, que les Romains ne peuvent rien faire de plus honorable pour notre patrie, de plus glorieux pour eux-mêmes, que de délivrer de la servitude tous les Grecs de l’Asie, et de les faire jouir de la liberté, de ce bien que tous les mortels chérissent comme le plus grand de tous les biens. Mais c’est de quoi Eumène et ses frères ne veulent pas convenir. La monarchie ne souffre point l’égalité entre les hommes ; elle prétend que tous, ou du moins la plupart, lui soient soumis et lui obéissent. Malgré cela, nous ne doutons cependant pas que vous ne nous accordiez cette grâce, non que nous nous flattions d’avoir plus de crédit sur vous qu’Eumène, mais parce qu’il est évident que nos demandes sont plus justes que les siennes et plus conformes aux intérêts de tous les alliés. À la vérité, si vous ne pouviez autrement témoigner votre reconnaissance à Eumène qu’en lui livrant les villes qui sont en possession de ne suivre que leurs lois, il y aurait plus à hésiter ; car alors vous vous trouveriez dans la fâcheuse nécessité ou de n’avoir nul égard pour un prince véritablement ami, ou de manquer à ce que la justice et le devoir exigent de vous, et d’obscurcir par là, d’effacer entièrement la gloire que vous vous êtes acquise par vos exploits. Mais, puisqu’il vous est aisé de satisfaire en même temps à l’un et à l’autre, qu’y a-t-il à délibérer ? Nous sommes ici comme à une table richement servie, d’où chacun peut tirer de quoi se rassasier et beaucoup même au-delà. Vous pouvez disposer en faveur de qui il vous plaira de la Lycaonie, de la Phrygie, près de l’Hellespont, de la Pisidie, de la Chersonèse et des pays qui touchent à l’Europe ; pays dont un seul ajouté au royaume d’Eumène lui donnera