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pouvait approcher de l’Italie, et Rome ne tremblait pas devant un ennemi qui la mit à deux doigts de sa perte. Mais aussi le grand Annibal n’aurait pas moissonné cette riche récolte de lauriers qui seront un sujet perpétuel d’admiration pour les gens de guerre. Félicitons-nous donc, après tout, d’une faute qui devient la source d’événemens aussi instructifs qu’intéressans.

On ne sait à quel peuple des Gaules s’adressèrent les ambassadeurs romains, lorsqu’ils vinrent donner le conseil d’arrêter l’armée carthaginoise. Tite-Live nous apprend seulement que les ambassadeurs furent très surpris et même un peu alarmés de voir les Gaulois se rendre en armes au lieu de l’assemblée.

Ces peuples regardèrent comme très ridicule d’entendre les députés de Rome leur proposer de combattre Annibal, pour l’empêcher de porter la guerre en Italie ; ils se moquèrent d’eux et les congédièrent. Tite-Live ajoute que les ambassadeurs trouvèrent à Marseille des dispositions toutes différentes, et que cette ville prit le parti des Romains.

Tout ce que dit ici cet écrivain, d’ailleurs si peu véridique, a dû arriver. Marseille, ville de commerce, était intéressée à l’humiliation de Carthage ; ses citoyens, jugeant bien les deux peuples, devaient penser aussi que l’excellente constitution de la république romaine triompherait tôt ou tard. Les Gaulois ne connaissaient ni Carthage ni Rome, et n’avaient aucun intérêt de commerce ; les ambassadeurs ne leur portaient point de présens, ne leur offraient pas de les prendre à leur solde ; ils durent les renvoyer.

Mais tandis que Rome observait les peuples que son ennemi devait trouver sur sa route, le préteur Manlius allait avec une armée contenir les Boïes, et fermer le nord de l’Italie. Le consul Sempronius Longus se rendait en Sicile, avec ordre de partir du port de Lilybée pour passer en Afrique et marcher à Carthage ; enfin, l’autre consul Publius Cornelius Scipio, avec soixante vaisseaux, faisait voile vers l’Espagne.

La célérité d’Annibal surpassa celle du consul. Il avait aussi envoyé des messagers vers les petits rois qui divisaient le pays qu’il devait traverser en quittant l’Espagne ; on ne peut douter qu’il ne fût même instruit de la route qu’il devait tenir ; car il n’ignorait certainement pas que les Gaulois des bords du Rhône, avaient, plus d’une fois, passé les Alpes pour se jeter en Italie.

C’est ce que Polybe fait observer aux historiens de son temps, lorsqu’ils représentaient les Alpes tellement escarpées et perpendiculaires, qu’elles seraient à peine accessibles à l’infanterie légère ; et les contrées voisines des Alpes comme de tels déserts, que si un dieu ou un demi-dieu n’avait guidé Annibal dans sa route, il périssait inévitablement avec son armée. Polybe leur dit que les Gaulois avaient souvent franchi ces montagnes, et tout récemment encore pour se joindre aux riverains du Pô. Il ajoute que les Alpes elles-mêmes sont habitées par des nations très nombreuses.

Le chemin dont il parlait passe par le pays des Salasses dans le val d’Aoste. Leur capitale, connue depuis sous le nom d’Augusta Prætoria, était, suivant Pline, placée à la rencontre des deux routes, dont l’une, inaccessible aux bêtes de sommes, conduisait par le sommet des Alpes qu’on appelait Pennines ( le Grand Saint-Bernard), du Dieu Penn, qui avait un temple sur la montagne ; tandis que l’autre traversait le pays des Centrones (le Petit St.-Bernard et la Tarentaise) ; et, sous