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POLYBE, LIV. XVIII.

manipules et une cohorte en forme de phalange. Encore ce mélange ne lui servit-il de rien pour vaincre ; tous les avantages qu’il a remportés ont toujours été très-équivoques. Il était nécessaire que je prévinsse ainsi mes lecteurs, afin qu’il ne se présentât rien à leur esprit qui parût peu conforme à ce que je dois dire dans la suite. Je viens donc à la comparaison des deux différens ordres de bataille.

C’est une chose constante et qui peut se justifier par mille endroits, que tant que la phalange se maintient dans son état propre et naturel, rien ne peut lui résister de front ni soutenir la violence de son choc. Dans cette ordonnance, on donne au soldat en armes trois pieds de terrain. La sarisse était longue de seize coudées. Depuis elle a été raccourcie de deux pour la rendre plus commode, et après ce retranchement il reste, depuis l’endroit où le soldat la tient jusqu’au bout qui passe derrière lui et qui sert comme de contre-poids à l’autre bout, quatre coudées ; et par conséquent si la sarisse est poussée des deux mains contre l’ennemi, elle s’étend à dix coudées devant le soldat qui la pousse. Ainsi, quand la phalange est dans son état propre, et que le soldat qui est à côté ou par derrière, joint son voisin autant qu’il le doit, les sarisses du second, troisième et quatrième rang s’avancent au-delà du premier plus que celles du cinquième, qui n’ont au-delà de ce premier rang que deux coudées. Ce serrement de la phalange est décrit ainsi dans Homère :

Les boucliers joignent les boucliers, les casques touchent les casques, le soldat appuie le soldat,
Et l’on voit flotter au-dessus des casques les brillans panaches dont ils sont ornés,
Tant les soldats se sont serrés les uns contre les autres.

Cette peinture est aussi belle qu’élégante ; et de là il s’ensuit qu’avant le premier rang il y en a cinq de sarisses, plus courtes les unes que les autres de deux coudées, à mesure qu’elles s’éloignent du premier rang au cinquième. Or, comme la phalange est rangée sur seize de profondeur, on peut aisément se figurer quel est le choc, le poids et la force de cette ordonnance. Il est vrai cependant qu’au-delà du cinquième rang les sarisses ne sont d’aucun usage pour le combat. Aussi ne les allonge-t-on pas en avant, mais on les appuie sur les épaules du rang précédent la pointe en haut, afin que pressées elles rompent l’impétuosité des traits, qui passent au-delà des premiers rangs et pourraient tomber sur ceux qui les suivent. Ces rangs postérieurs et reculés ont cependant leur utilité ; car, en marchant à l’ennemi, ils poussent et pressent ceux qui les précèdent, et ôtent à ceux qui sont devant eux tout moyen de retourner en arrière. On a vu la disposition tant du corps entier que des parties de la phalange. Voyons maintenant ce qui est propre à l’armure et à l’ordonnance des Romains, pour en faire la comparaison avec celle des Macédoniens.

Le soldat romain n’occupe non plus que trois pieds de terrain ; mais comme pour se couvrir de leurs boucliers et frapper d’estoc et de taille, ils sont dans la nécessité de se donner quelque mouvement, il faut qu’entre chaque légionnaire, soit à côté ou par derrière, il reste au moins trois pieds d’intervalle, si l’on veut qu’ils se remuent commodément. Chaque soldat romain combattant contre une phalange a donc deux hommes et dix sarisses à forcer. Or, quand on en vient aux mains, il ne les peut forcer ni en coupant, ni en rompant, et les rangs qui le suivent ne lui sont pour cela d’aucun secours. La vio-