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POLYBE, LIV. XVI.

Ladé a été plus vive et plus meurtrière que celle qui s’est donnée à la hauteur de Chio. Ils disent encore que le détail de l’action, son succès, en un mot la victoire, est toute à l’honneur des Rhodiens. Qu’il soit permis aux historiens d’avoir quelque penchant à faire honneur à leur patrie, j y consens : mais je ne voudrais pas qu’ils abusassent de cette permission, jusqu’à nous débiter des choses contraires à ce qui s’est réellement passé. Il leur échappe déjà bien des fautes que l’humanité peut à peine éviter. Si en faveur de notre patrie, ou par tendresse pour nos amis, ou par reconnaissance, nous nous laissons aller à raconter de dessein prémédité des événemens faux et imaginaires, en quoi nous distinguera-t-on de ces historiens mercenaires qui livrent leur plume au plus offrant ? L’intérêt qu’on sait que ceux-ci ont à mentir fait mépriser leurs ouvrages : les nôtres seront-ils plus estimés, si l’on s’aperçoit que l’inclination ou la haine nous les a dictés ? C’est un défaut contre lequel un lecteur ne peut trop se tenir en garde, et que les historiens eux-mêmes doivent éviter avec soin. Zénon et Antisthène y sont tombés. En voici la preuve.

Ils conviennent l’un et l’autre, en faisant le détail du combat, que deux quinquérèmes des Rhodiens furent prises avec leur équipage par les ennemis ; qu’un autre vaisseau ouvert et près de couler à fond, pour se sauver, avait levé la voile et gagné le large ; que plusieurs qui en étaient proche s’étaient mis aussi en haute mer, et que l’amiral, se voyant presque abandonné, avait suivi le même exemple ; qu’alors tous ces vaisseaux jetés par une tempête dans la Myndie, avaient abordé le lendemain à l’île de Cos en traversant les ennemis ; que ceux-ci avaient attaché les quinquérèmes rhodiennes à leurs vaisseaux, et que, débarquant à Ladé, ils s’étaient logés dans le camp des Rhodiens ; enfin, que les Milésiens, effrayés de cet événement, avaient couronné non-seulement Philippe, mais encore Héraclide. Après toutes ces marques d’une défaite entière, comment peuvent-ils nous assurer que les Rhodiens ont remporté la victoire ? Ils le font cependant, et cela malgré une lettre écrite au conseil et aux Prytanes par l’amiral même après le combat, et qui se conserve encore dans le Prytanée, lettre entièrement conforme au récit que nous avons fait de la journée de Ladé, et qui détruit tout ce que Zénon et Antisthène en ont rapporté.

Ces deux historiens racontent ensuite l’insulte faite aux Messéniens contre la foi des traités. Là Zénon dit que Nabis, au sortir de Lacédémone, traversa l’Eurotas ; que, suivant le ruisseau nommé Hoplitès, il était venu par le Sentier-Étroit à Polasion, et de là à Sélasie ; d’où, prenant sa route par Phares et par les Thalames, il était arrivé au Pamise. Que dirons-nous de cette route ? Elle est tout-à-fait semblable à celle d’un homme qui, pour aller de Corinthe à Argos, traverserait l’isthme, irait aux rochers Scironiens, et de là, suivant le Contopore et passant par les terres de Mycènes, entrerait dans Argos : car tous ces lieux ne sont pas seulement un peu éloignés les uns des autres, ils sont dans une situation absolument opposée. L’isthme et les rochers Scironiens sont à l’orient de Corinthe, au lieu que Contopore et Mycènes approchent beaucoup du couchant d’hiver, de sorte qu’il n’est pas possible de venir de Corinthe à Argos par ce chemin. La même impossibilité se rencontre dans la route que Zénon fait suivre à Nabis ; car l’Eurotas et Sélasie sont, à l’égard

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